A partir de fin 2015, l’administration du comté de Johnson, dans l’Iowa, aux Etats-Unis, a relevé à plusieurs reprises le salaire minimum local : celui-ci est passé de 7,25 dollars (correspondant à celui en vigueur dans l'Etat) à 10,10 dollars de l’heure. Le salaire minimum du comté de Johnson est resté élevé pendant dix-sept mois, avant que le gouvernement de l’Etat de l’Iowa abolisse les salaires minima des collectivités locales : le salaire minimum du comté de Johnson est ainsi revenu à 7,25 dollars de l’heure.
Emiliano Huet-Vaughn et Jon Piqueras (2023) se sont appuyés sur cette expérience naturelle pour observer les effets que peuvent avoir sur le marché du travail une large hausse du salaire minimum suivie par une baisse de même ampleur de celui-ci. En adoptant une approche de contrôle synthétique, ils ont comparé le comportement des salaires et de l’emploi dans un secteur rémunérant beaucoup de salariés au salaire minimum, en l’occurrence celui de la restauration, de celui du comté de Johnson avec le comportement des salaires et de l’emploi dans le même secteur dans d’autres comtés.
Huet-Vaughn et Piqueras constatent que, dans le secteur de la restauration du comté de Johnson, les salaires ont augmenté suite à la hausse du salaire minimum, notamment relativement au même secteur dans les autres comtés. Mais lorsque le salaire minimum a ensuite été baissé, les salaires n’ont pas diminué dans le secteur de la restauration dans le comté de Johnson relativement aux autres secteurs. Les employeurs ont notamment continué de proposer des salaires élevés dans leurs offres d’emploi suite à la baisse du salaire minimum. Les hausses relatives de salaires se sont révélées durables : elles se maintenaient encore cinq ans après la baisse du salaire minimum.
Quant à l’emploi proprement dit, la hausse du salaire minimum ne semble pas s’être accompagnée d’une destruction d’emplois dans le secteur observé, tout comme la réduction ultérieure du salaire minimum ne semble pas s’être accompagnée d’une stimulation de la création d’emplois.
Le comportement des salaires qui a été observé est compatible avec l’idée d’une rigidité des salaires nominaux à la baisse. Les théories de la rigidité nominale des salaires à la baisse ont amené certains à prédire que les épisodes d’inflation permettent de « graisser les rouages du marché de l’inflation » (Tobin, 1972 ; Akerlof et al., 1996). Dans le cas du comté de Johnson, les épisodes d’inflation auraient dû, selon de telles prédictions, réduire les salaires du secteur de la restauration dans le comté de Johnson relativement aux autres comtés. Or, ce n’est pas ce que Huet-Vaughn et Piqueras observent : l’écart de salaires s’est maintenu malgré les poussées d’inflation.
Huet-Vaughn et Piqueras se sont ensuite penchés sur les mécanismes susceptibles d’expliquer leurs observations, notamment les modèles du salaire d’efficience. Leur candidat privilégié est une explication tirée d’une expérience de laboratoire réalisée par Armin Falk et al. (2006), où les salaires de réserve ont été durablement affectés par la hausse du salaire minimum : il est possible que celle-ci ait amené les travailleurs à changé d’avis quant à ce qui constitue un salaire juste. En conséquence, les entreprises ont continué de proposer des salaires élevés après la chute du salaire minimum, non pas parce que cela accroissait leur profit, mais parce qu’elles ont pris conscience qu’elles perdraient sinon des travailleurs.
Références
TOBIN, James (1972), « Inflation and unemployment », in American Economic Review, vol. 62 , n° 1-2.