mercredi 20 décembre 2023

La lutte des banques centrales contre l’inflation alimente-t-elle les tensions financières ?

Les banques centrales affichent pour mission de stabiliser l’inflation à un faible niveau. Mais, qu’elles y fassent explicitement mention ou non dans leur mandat, elles ont également un rôle dans la préservation de la stabilité financière, ne serait-ce qu’en leur qualité de prêteurs en dernier ressort. Or, ces deux objectifs – la stabilité des prix et la stabilité financière – sont loin d’être indépendants l’un de l’autre. En l’occurrence, les décisions de politique monétaire en vue de stabiliser l’inflation peuvent alimenter les risques d’instabilité financière. Ce peut être le cas des assouplissements monétaires, dans la mesure où ils incitent les agents économiques, notamment les plus contraints financièrement, à s’endetter (Grimm et al., 2023). Et ce peut être aussi le cas des resserrements monétaires : une hausse des taux d’intérêt peut fragiliser les emprunteurs, par exemple en alourdissant la charge de leur dette ou en durcissant les conditions d’obtention d’un nouvel emprunt (Schularick et al., 2021)

Frederic Boissay, Fabrice Collard, Cristina Manea et Adam Shapiro (2023) ont étudié les effets des resserrements de la politique monétaire sur les tensions financières en distinguant les chocs à l’origine de l’inflation selon leur nature. En l’occurrence, ils appliquent la méthode des projections locales pour estimer les effets des resserrements monétaires sur divers indicateurs de tensions financières selon si l’inflation tirée par des chocs d’offre négatifs ou bien par des chocs de demande positifs.

Boissay et ses coauteurs constatent que les tensions financières ont tendance à s’accroître suite à une hausse des taux d’intérêt lorsque l’inflation est forte et est tirée par l’offre (cf. graphique 1). En revanche, elles tendent à ne pas varier, voire à diminuer, suite à une hausse des taux directeurs lorsque l’inflation est forte et est tirée par la demande (cf. graphique 2).

Cela pourrait notamment s’expliquer par la position de l’économie par rapport à son potentiel. Lorsque l’économie subit un choc d’offre négatif, c'est son potentiel même qui risque de se dégrader et les ménages et les entreprises risquent d’être davantage contraints en termes de liquidité. En revanche, quand l’économie subit un choc de demande positif, elle risque d’opérer au-dessus de son potentiel et le risque que les ménages ou les entreprises soient contraints en termes de liquidité est alors plus faible.

Autrement dit, dans leur lutte contre l’inflation les banques centrales risquent de se retrouver face à un arbitrage entre stabilité des prix et stabilité financière lorsque l’inflation est tirée par l’offre et non par la demande. Ainsi, lorsque la banque centrale resserre sa politique monétaire pour enrayer une poussée inflationniste tirée par l’offre, elle doit être particulièrement attentive aux risques de crise financière et son action devrait s’accompagner de mesures macroprudentielles pour qu’elle puisse se concentrer sur son objectif de stabilisation de l’inflation. 


Références

BOISSAY, Frederic, Fabrice COLLARD, Cristina MANEA & Adam SHAPIRO (2023), « Monetary tightening, inflation drivers and financial stress », BRI, working paper, n° 1155. 

GRIMM, Maximilian, Òscar JORDÀ, Moritz SCHULARICK & Alan M. TAYLOR (2023), « Loose monetary policy and financial instability », NBER, working paper, n° 30958. 

SCHULARICK, Moritz, Lucas TER STEEGE & Felix WARD (2021), « Leaning against the wind and crisis risk », in American Economic Review: Insights, vol. 3, n° 2.