L’inflation a été extrêmement faible aux Etats-Unis et dans la zone euro suite à la Grande Récession. Après les premiers temps de la pandémie de Covid-19, elle est repartie à la hausse, en l’occurrence à partir de mars 2021 dans le cas américain et à partir de juillet 2021 dans le cas européen, pour finir par atteindre des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis les années 1980. En réaction, les banques centrales ont resserré leur politique monétaire : la Réserve fédérale a commencé à relever ses taux d’intérêt en mars 2022 et la BCE en juillet 2022.
Dans un rapport destiné à la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Christophe Blot et François Geerolf (2023) ont mis en regard la dynamique de l’inflation des deux côtés de l’Atlantique. Depuis le début de l’épisode inflationniste, la dynamique de l’inflation, en termes d’ampleur, a été assez similaire des deux côtés de l’Atlantique, si ce n’est que les variations de l’inflation dans la zone euro ont reproduit celles observées aux Etats-Unis avec un retard de quatre mois (cf. graphique). L’inflation américaine a atteint son pic en juin 2022 (en atteignant alors 8,9 % en rythme annualisé) et l’inflation européenne en octobre 2022 (en atteignait alors 10,6 % en rythme annualisé). En définitive, le niveau des prix a augmenté dans des proportions assez similaires des deux côtés de l’Atlantique.
Des facteurs du côté de l’offre ont clairement contribué à cette hausse de l’inflation. En effet, cette dernière a été alimentée par les problèmes d’approvisionnement provoqués par la pandémie et les mesures sanitaires adoptées pour la contenir. Elle a aussi été alimentée par la hausse des prix de l’énergie qui a débuté en 2021 et qui s’est accélérée dans le sillage de l’invasion russe de l’Ukraine.
Aux Etats-Unis comme dans la zone euro, les salaires ont augmenté, mais en retard par rapport aux prix, et ils n’ont pas été une source significative d’inflation. Les salaires nominaux ayant moins augmenté que les prix, les salaires réels ont chuté : il n’y a pas eu de boucle prix-salaires. Cette situation contraste avec celle observée lors des années 1970 : à l’époque, la hausse des salaires nominaux contribuait tout particulièrement à l’inflation des prix en raison de l’indexation des salaires sur l’inflation. Et, alors que les profits avaient chuté lors des chocs pétroliers, ils ont été élevés ces dernières années, ce qui a pu laisser craindre qu’une boucle prix-profits soit à l’œuvre.
La différence dans les dynamiques de l’inflation entre les Etats-Unis et la zone euro tient surtout aux contributions sous-jacentes. Blot et Geerolf estiment que l’énergie et les prix alimentaires ont joué un plus grand rôle dans l’inflation européenne, tandis que l’inflation sous-jacente et en l’occurrence les loyers ont joué un plus grand rôle dans l’inflation américaine. Ces différences dans les contributions à l’inflation suggèrent que la demande a davantage contribué dans la hausse de l’inflation observée aux Etats-Unis que dans celle observée dans la zone euro. Cette idée est confortée par d’autres indicateurs. Par exemple, la politique budgétaire a été plus accommodante, la croissance du PIB et la croissance de la consommation plus élevés et le taux de chômage plus faible aux Etats-Unis que dans la zone euro.
Le fait que l’inflation tient en partie à des chocs d’offre et à des facteurs internationaux réduit certainement l’efficacité de la politique monétaire à réduire leur inflation domestique. Il est probable que le reflux de l’inflation observé ces derniers mois tienne avant tout au reflux des prix des produits de base.
Pour l’heure, la Réserve fédérale et la BCE ont resserré leurs politiques monétaires dans les mêmes proportions et toutes les deux ont laissé leurs taux inchangés lors de leurs dernières réunions, mais Blot et Geerolf estiment que les différences dans les dynamiques d’inflation entre les Etats-Unis et la zone euro pourraient se traduire par une divergence des politiques monétaires américaine et européenne. Dans la mesure où l’économie de la zone euro semble au point mort et où l’économie américaine semble toujours robuste, la BCE pourrait être amenée à réduire ses taux d’intérêt, tandis que la Fed pourrait avoir à maintenir ses taux d’intérêt à un niveau élevé plus longtemps. Si c’est le cas, il y a un risque d’une dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar, or celle-ci tendrait à exacerber les tensions inflations dans la zone euro. D’un autre côté, le reflux de l’inflation ces derniers trimestres a été plus marqué aux Etats-Unis que dans la zone euro, ce qui pourrait permettre à la Fed d’entreprendre plus rapidement une baisse de ses taux d’intérêt, auquel cas la BCE pourrait faire de même et le taux de change euro-dollar resterait relativement stable.
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