lundi 24 avril 2023

Ce que l’approche narrative dit des effets réels de la politique monétaire

Il est difficile d’identifier les effets de la politique monétaire. En effet, non seulement l’activité économique n’est pas influencée par les seules mesures de politique monétaire, mais celles-ci sont aussi affectées par les divers facteurs susceptibles d’affecter la production. Dans le cas extrême et improbable où la banque centrale parviendrait à contrer toutes les forces qui affectent la production, cette dernière ne fluctuerait pas, auquel cas une simple régression de l’activité économique sur un indicateur de politique monétaire suggérerait erronément que la politique monétaire n’affecte pas la production [Kareken et Solow, 1963].

Christina et David Romer (1989) ont alors proposé une technique, qu’ils ont qualifiée d’« approche narrative », pour identifier les effets de la politique économique. Celle-ci, inspirée de Milton Friedman et Anna Schwartz (1963), consiste à utiliser des sources de nature qualitative, comme les journaux ou les comptes-rendus des autorités publiques, pour établir des relations causales. Ils l’avaient alors utilisée pour identifier les effets de la politique monétaire américaine en s’appuyant sur les « minutes » et retranscriptions des réunions de la Fed.

Tirant profit de près de trente-cinq ans supplémentaires d’améliorations méthodologiques et de données, Christina et David Romer (2023) ont reproduit leur étude originelle pour identifier les assouplissements ou resserrements majeurs de la politique monétaire de la Fed qui n’ont pas été pris en réponse aux développements courants ou attendus de l’activité économique pour la période allant de 1946 à 2016.

Ils confirment les conclusions de leur étude originelle en constatant que de tels chocs monétaires ont eu des effets amples et significatifs sur le chômage, le PIB réel et l’inflation dans les sens attendus. En l’occurrence, un choc monétaire restrictif augmente le taux de chômage de 1,6 point de pourcentage et réduit le PIB réel de 4,4 % par rapport au scénario sans choc (cf. graphiques 1 et 2). Cela dit, Christina et David Romer aboutissent à des effets quelque peu moins importants que ceux qu’ils avaient estimés dans leur étude originelle. Quant à l’impact des chocs monétaires sur l’inflation, il apparaît qu’un choc monétaire restrictif réduit l’inflation d’environ 1,5 point de pourcentage, mais les effets se manifestent lentement et leurs estimations sont moins précises que pour celles de l’activité réelle. 

En analysant les documents disponibles, Christina et David Romer confirment qu’un choc monétaire restrictif s’est produit l'année dernière. D’après leurs estimations tirées des chocs passés, ils s’attendent à ce que ce choc actuel ait des impacts négatifs substantiels sur le PIB réel et l’inflation en 2023 et en 2024. L'inflation ayant déjà amorcé son reflux, ils craignent que l'actuel resserrement monétaire de la Fed ne provoque davantage de dommages que nécessaire. 


Références

FRIEDMAN, Milton, & Anna Jacobson SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, Princeton University Press

KAREKEN, John, & Robert M. SOLOW (1963), « Lags in monetary policy », in E. Cary Brown (dir.), Stabilization Policies, Prentice-Hall.

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (1989), « Does monetary policy matter? A new test in the spirit of Friedman and Schwartz », NBER Macroeconomics Annual, vol. 4.

ROMER, Christina D., & David H. ROMER (2023), « Does monetary policy matter? The narrative approach after 35 years », NBER, working paper, n° 31170.