mercredi 30 août 2023

Comment expliquer l’adoption rapide de la voiture aux Etats-Unis ?

Entre 1910 et 1930, la voiture s'est rapidement diffusée aux Etats-Unis : en 1930, il y avait plus de 1.800 voitures pour 10.000 habitants, contre 50 en 1910. Au niveau international, les Etats-Unis sont le pays qui a adopté le plus rapidement la voiture (cf. graphique). Ils étaient déjà en avance dans l’adoption de téléphone et de la radio par rapport aux autres pays industrialisés, mais l’écart dans l’adoption des voitures était encore plus prononcé : la France n’a atteint qu’en 1974 le nombre d’automobiles par tête que connaissait la Californie en 1926.

Beaucoup ont relié l’adoption rapide de l’automobile aux Etats-Unis au succès de la Ford T. Cette dernière a commencé à être produite en 1908 et en l'occurrence en masse à partir de 1913. Quatre ans après, 40 % des voitures en circulation étaient des Ford T. Dans son grand récit de la croissance américaine, Robert Godon (2016) notait que « la plus importante raison derrière la diffusion rapide de la propriété automobile avant 1929 a été la baisse rapide des prix des voitures, un accomplissement qui a été largement dû à la Ford T et qui n’a été observé dans aucun autre pays ».

Dans un récent document de travail, Shari Eli, Joshua Hausman et Paul Rhode (2023) ont étudié plus précisément l’adoption de l’automobile aux Etats-Unis avant 1930. Ils ont notamment observé les relations entre le revenu, la densité de population et la propriété automobile. Ils constatent qu’en 1909 l’élasticité-revenu des immatriculations de voitures par tête était bien supérieure à l’unité, tandis qu’il n’y avait qu’une faible relation entre la densité de population et la propriété automobile ; en 1919, l’élasticité-revenu de la propriété automobile avait chuté bien en-dessous de l’unité, tandis que la relation entre la propriété automobile et la densité automobile était forte et négative. Autrement dit, alors qu’elle était initialement un bien de luxe, possédé pour l’essentiel par les plus riches, l’automobile est devenue, au terme de la décennie 1910, un bien de consommation de masse.

En creusant davantage, Eli et ses coauteurs notent que les ventes de Ford T ne se sont pas substituées aux ventes des autres voitures. En fait, la Ford T a élargi le marché automobile, en l’occurrence aux agriculteurs et aux régions les plus pauvres du pays.

Reste à savoir pourquoi la diffusion de la voiture n'a pas été aussi rapide dans le reste du monde industrialisé. En étudiant les prix dans une quinzaine de pays, Eli et ses coauteurs estiment que la Ford T coûtait 20 à 130 % plus cher en-dehors des Etats-Unis. Ils concluent au terme de leur étude que les droits de douane et les difficultés à produire en-dehors de Detroit ont rendu le succès américain de l’automobile difficilement réplicable à l’étranger.


Références

ELI, Shari, Joshua K. HAUSMAN & Paul RHODE (2023), « The model T », NBER, working paper, n° 31454. 

GORDON, Robert J. (2016), The Rise and Fall of American Growth: The U.S. Standard of Living since the Civil War, Princeton University Press.