La science économique a eu tendance à s’internationaliser et à se standardiser en Europe à partir des années 1970, en l’occurrence en adoptant des standards de l’économie américaine. Aurélien Goutsmedt et Alexandre Truc (2023) ont cherché à identifier si la macroéconomie orthodoxe européenne présente des spécificités, notamment relativement à la macroéconomie américaine. En utilisant l’analyse bibliométrique et la modélisation de sujets, ils ont étudié les publications de la revue European Economic Review entre 1969, date de sa création, et 2002 et comparé celles-ci avec les publications du « top five », c’est-à-dire des cinq plus grandes revues en science économique, en l’occurrence l’American Economic Review, le Journal of Political Economy, Econometrica, le Quarterly Journal of Economics et la Review of Economic Studies.
Goutsmedt et Truc ont repéré deux grandes sous-périodes dans la période étudiée. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, les macroéconomistes européens gardaient une certaine distance vis-à-vis des débats théoriques américains, qui tournaient alors notamment autour des anticipations rationnelles et d’autres idées des nouveaux classiques. Les premières publications de l’European Economic Review adoptaient souvent une approche empirique et leurs préoccupations n’étaient pas alignées sur celles des Américains.
Cela dit, même s’ils n’étaient pas directement influencés par les travaux des nouveaux classiques, les macroéconomistes européens ont commencé, comme leurs confrères américains, à évoquer la question des microfondations au cours de cette première sous-période, mais en l’occurrence par le biais de la théorie du déséquilibre. Celle-ci a alimenté des collaborations internationales et offert un cadre pour aborder plusieurs thèmes en macroéconomie, notamment le chômage, la stagflation, les politiques conjoncturelles et le commerce international (Portes, 1987 ; Goutsmedt et alii, 2021).
La macroéconomie européenne s’est rapprochée de la macroéconomie américaine à partir du milieu des années 1980, avec l’essor des idées des nouveaux classiques et le déclin subséquent de la théorie du déséquilibre. Au cours de cette seconde sous-période, les idées des nouveaux classiques ne se sont diffusées en Europe, ni via les travaux séminaux de Robert Lucas ou de Thomas Sargent, ni via les modèles des real-business cycles, mais plutôt via la nouvelle économie politique qui s’est développée dans le sillage des travaux de Kydland et Prescott (1977) et de Barro et Gordon (1983) autour de la notion d’incohérence temporelle. Ceux-ci ont en effet offert un cadre commun pour plusieurs macroéconomistes européens.
Dans les années 1990, la macroéconomie européenne était plus alignée sur la macroéconomie américaine qu'elle ne l'était au cours des précédentes décennies. Pour autant, Goutsmedt et Truc notent qu’elle a gardé certaines spécificités dans les sujets abordés. Les macroéconomistes européens se consacrent davantage que leurs confrères américains aux questions du chômage (qui restait relativement plus élevé en Europe qu’outre-Atlantique), des interdépendances entre pays européens et de l’intégration européenne. L’importance de la question de la construction européenne et des considérations politiques qui lui sont sous-jacentes contribue certainement à expliquer pourquoi l’économie politique a tenu une si grande place dans la macroéconomie européenne.
Références
PORTES, Richard (1987), « Economics in Europe », European Economic Review, vol. 31, n° 6.