Depuis les travaux des monétaristes et surtout des nouveaux classiques, beaucoup ont eu tendance à supposer que la politique monétaire ne peut influencer que la demande à court terme, non les capacités de production à long terme de l’économie. C’est ce qu’Olivier Blanchard a qualifié d’« hypothèse d’indépendance ».
Or, plusieurs travaux empiriques ont montré que la trajectoire de l’économie à long terme n’était pas insensible à la conjoncture. Par exemple, la faiblesse de la demande globale et les turbulences du système financier peuvent déprimer l’activité de recherche-développement et par là l’innovation (Anzoategui et alii, 2019 ; Queralto, 2020). Cela suggère que la politique monétaire, en influençant la demande globale et les conditions de financement, est susceptible d’avoir des effets à long terme sur la production. Certains travaux remettent précisément en cause l'idée d'une neutralité de la politique monétaire à long terme (Jordà et alii, 2020 ; Fornaro et Wolf, 2023).
Dans une étude qu’ils ont présentée cette semaine à la conférence de Jackson Hole, Yueran Ma et Kaspar Zimmermann (2023) ont cherché à déterminer si la politique monétaire exerce un effet sur l’innovation en s’appuyant sur les chocs monétaires identifiés par Christina et David Romer. Ils constatent qu’après un choc de resserrement monétaire équivalent à 100 points de base les dépenses en recherche-développement baissent de 1 à 3 % et l’investissement en capital-risque d’environ 25 % au cours des un trois années suivantes. Les dépôts de brevets dans les technologies majeures baissent de 9 % au cours des deux à quatre années consécutives à un choc monétaire, alors que les dépôts de brevets dans les technologies plus mineures s’en trouvent moins affectées.
En prenant les estimations courantes de la production aux activités d’innovation, Ma et Zimmermann en concluent qu’au bout de cinq ans le resserrement monétaire réduit de 0,5 % la productivité globale des facteurs et de 1 % la production via son impact sur l’innovation. Autrement dit, leur étude conclut que la politique monétaire n’a pas un impact sur la seule conjoncture ; elle affecte plus directement la capacité de production de l’économie à long terme.
Ma et Zimmermann ont ensuite cherché à identifier les canaux de transmission via lesquels un resserrement monétaire déprime l’innovation. Les données suggèrent que la politique monétaire influence l’innovation, d’une part, en affectant la demande globale et ainsi la rentabilité de l’innovation et, d’autre part, en affectant les conditions de financement et la prise de risque. En effet, suite à un resserrement monétaire, les dépenses de recherche-développement et les dépôts de brevets baissent relativement plus fortement dans les secteurs les plus exposés à la conjoncture. En outre, l’investissement en recherche-développement semble aussi bien diminuer pour les entreprises publiques que pour les entreprises privées, alors même que les premières sont censées avoir moins de contraintes financières que les secondes. D’autre part, il apparaît que l’investissement en capital-risque baisse aussi bien pour les startups qui sont dans les dernières étapes du processus d’innovation que pour les startups qui sont dans les premières étapes du processus d’innovation, alors même que les conditions courantes de la demande globale sont moins pertinentes pour ces dernières.
Références
MA, Yueran, & Kaspar ZIMMERMANN (2023), « Monetary policy and innovation ».