vendredi 9 septembre 2022

Quels sont les coûts sociaux des défauts souverains ?

Plusieurs travaux ont cherché à déterminer les coûts économiques des défauts sur la dette publique, notamment en termes de coûts de financement, d’investissements directs à l’étranger et, à un niveau plus agrégé, de PIB. Les estimations obtenues varient fortement d’une étude à l’autre ; par exemple, Reinhart et Rogoff (2009) concluent que les défauts souverains tendent à être suivis par de sévères récessions, tandis que Levy-Yeyati et Panizza (2011) jugent de leur côté que les coûts sont faibles. Outre cette absence de consensus, la littérature n’a guère exploré les coûts sociaux des défauts souverains, notamment en termes de pauvreté et d’inégalités.

Dans une nouvelle étude publiée par la Banque mondiale, Juan Farah-Yacoub, Clemens Graf von Luckner, Rita Ramalho et Carmen Reinhart (2022) ont appliqué la méthode du contrôle synthétique pour déterminer les coûts des défauts souverains en allant au-delà de seuls coûts économiques. Pour cela, ils ont appliqué la méthode du contrôle synthétique à un échantillon de 131 défauts souverains depuis 1900.

Aboutissant à des estimations plus pessimistes que celles habituellement retenus par la littérature, Farah-Yacoub et ses coauteurs concluent que les défauts sur la dette publique tendent à être suivis par des effets amples et durables sur le PIB et que ces coûts tendent à se concentrer immédiatement après le défaut. En effet, dans les trois ans qui suivent un défaut souverain, le PIB tend à connaître une baisse cumulée de 8 % relativement au scénario synthétique (cf. graphique 1). La croissance économique tendait certes à ralentir avant le défaut souverain, mais elle ralentit davantage encore suite à celui-ci : au cours des deux premières années qui suivent le défaut souverain, elle chute en moyenne de 3,6 points de pourcentage par rapport à sa tendance antérieure et de 2,4 points de pourcentage relativement au scénario contrefactuel. Ce n’est que quatre ans après le défaut que le PIB dépasse son niveau initial. Après une décennie, la production des pays ayant subi un défaut souverain reste 17 % inférieur à ce qu’il aurait été selon le scénario contrefactuel.

Farah-Yacoubet ses coauteurs ont ensuite exploré les coûts sociaux des défauts souverains. Ils notent tout d’abord qu’un défaut sur la dette publique tend à être suivi par une forte hausse de la pauvreté. D’après les données obtenues à partir des années 1980, brièvement après un défaut souverain, le taux de pauvreté augmente d’environ 30 % par rapport à son niveau initial et il reste à un niveau élevé une décennie après (cf. graphique 2). Les indicateurs relatifs à l’alimentation, à la production énergétique et à la santé tendent également à se dégrader dans le sillage d’un défaut souverain. Par exemple, la mortalité infantile est 13 % plus élevée par rapport au scénario contrefactuel. En outre, pour les survivants, l’espérance de vie se trouve réduite de 1,5 point de pourcentage par rapport au scénario contrefactuel. La question de savoir dans quelle mesure ces coûts sociaux résultent de la détérioration de l’activité économique reste ouverte.

En poursuivant leur analyse à partir d’un échantillon de huit pays pour lesquels on observe une chute de la production après le défaut souverain et pour lesquels les données annuelles sur la répartition son disponible, Farah-Yacoub et ses coauteurs concluent que ce sont les couches les plus pauvres qui tendent à supporter les coûts occasionnés par le défaut.


Références

FARAH-YACOUB, Juan P., Clemens Graf von LUCKNER, Rita RAMALHO& Carmen REINHART (2022), « The social costs of sovereign default », Banque mondiale, policy research working paper, n° 10157.

LEVY-YEYATI, Eduardo, & Ugo PANIZZA (2011), « The elusive costs of sovereign defaults », Journal of Development Economics, vol. 94, n°1.

REINHART, Carmen, M. & Kenneth S. ROGOFF (2009), This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly, Princeton University Press. Traduction française, Cette fois, c'est différent. Huit siècles de folie financière, Pearson.