mercredi 17 août 2022

Inflation : et si nous étions revenus un siècle plus tôt ?

Après plusieurs décennies où l’inflation s'est révélée faible et stable, celle-ci a augmenté dans le sillage de la pandémie de Covid-19. Depuis quelques mois, les pays développés, notamment les Etats-Unis, retrouvent des niveaux d’inflation qu’ils n’avaient plus connus depuis une quarantaine d’années. L’une des questions qui se pose est de savoir dans quelle mesure cette évolution tient à une hausse de la composante permanente de l’inflation. En effet, il sera d’autant plus difficile de réduire l’inflation que sa hausse tient à sa composante permanente.

C’est la question à laquelle Stephanie Schmitt-Grohé et Martín Uribe (2022) ont cherché à répondre en se focalisant sur le cas des Etats-Unis. Pour identifier la composante permanente de l’inflation, ils ont estimé un modèle semi-structurel de la production, de l’inflation et du taux d’intérêt nominal pour la période allant de 1900 à 2021. Le modèle prédit une hausse de 0,51 point de pourcentage de la composante permanente de l’inflation de 2019 à 2021, ce qui amène à conclure que la récente hausse de l’inflation tient pour l’essentiel à une hausse de sa seule composante transitoire (cf. graphique 1). Par contre, lorsque Schmitt-Grohé et Uribe estiment leur modèle en s’appuyant sur la seule période allant de 1955 à 2021, celui-ci prédit une hausse de 2,38 points de pourcentage de la composante permanente de l’inflation (cf. graphique 2).

Cette différence de résultats s’explique par le changement dans le profil des hausses d’inflation à partir de la Seconde Guerre mondiale. Si le modèle amène à prédire une plus forte hausse de la composante permanente de l’inflation, donc une inflation plus visqueuse, lorsqu’il est estimé à partir de la seule période d’après-guerre, c’est parce que cette dernière a été marquée, non pas par des hausses soudaines de l’inflation, mais par des hausses graduelles de l’inflation. Par exemple, la Grande Inflation des années 1970 correspond à une accélération étalée sur dix ans. La période allant de 1900 à 1954 a au contraire été marquée par des hausses amples et soudaines, mais temporaires, de l’inflation, notamment autour de la pandémie de la grippe espagnole.

Au vu de sa vitesse, la récente hausse de l’inflation s’apparente aux hausses de l’inflation observées avant la Seconde Guerre mondiale. Schmitt-Grohé et Uribe en tirent deux implications. Tout d'abord, si c’est effectivement le cas, la récente hausse de l’inflation ne devrait être que temporaire. 

Plus largement, cela pourrait signaler un certain retour à la macroéconomie antérieure à la Seconde Guerre mondiale. En effet, suite au conflit, les économies avancées ont joui d’une stabilité qu’elles n’avaient jusqu’alors guère connue ; jusqu’à la pandémie, il faisait ainsi sens pour les économistes de se restreindre aux données d’après-guerre pour étudier le cycle d’affaires. Or, la pandémie marque peut-être le retour à l’instabilité antérieure à la Seconde Guerre mondiale ; la perspective du changement climatique rend un tel scénario particulièrement crédible. Dans ce cas, les données d’après-guerre se révèleraient moins pertinentes pour comprendre les événements actuels ; l’analyse des cycles d’affaires devra s'intéresser davantage aux fluctuations antérieures au conflit.


Référence

SCHMITT-GROHÉ, Stephanie, & Martín URIBE (2022), « What do long data tell us about the inflation hike post COVID-19 pandemic? », NBER, working paper, n° 30357.