Ces dernières décennies ont été marquées par une baisse des inégalités mondiales de revenu (Lakner et Milanovic, 2016). Cela s’explique notamment par la réduction des écarts de revenu entre les pays, le niveau de vie des pays en développement ayant enfin convergé vers celui des pays développés. En l’occurrence, cette convergence tient pour beaucoup à l’essor de l’économie chinoise, qui a permis à des centaines de millions de personnes de quitter l’extrême pauvreté en quelques décennies.
En s’appuyant notamment sur les enquêtes relatives au revenu des ménages dans plus de 160 pays pour la période allant de 1981 à 2019, Ravi Kanbur, Eduardo Ortiz-Juarez et Andy Sumner (2022) se sont penchées sur l’évolution passée des inégalités mondiales et ont cherché à en prévoir l’évolution future. Ils confirment que la baisse des inégalités mondiales de revenu que l’on a observée ces dernières décennies s’explique davantage par la réduction des écarts de revenu entre les pays que par la baisse des inégalités de revenu au sein des pays.
Pour Kanbur et ses coauteurs, comme d'autres économistes, cette baisse des inégalités mondiales n’est que temporaire : en raison des modifications dans les écarts de revenu entre pays, elle devrait finir par s’interrompre, puis s’inverser. Cela tient au comportement de pays émergents asiatiques très peuplés, comme l’Inde et surtout la Chine. En effet, ces pays avaient initialement un niveau de vie relativement faible en comparaison avec les autres pays, si bien que lorsqu’ils ont amorcé leur rattrapage vis-à-vis des pays développés, leur croissance contribuait à réduire les écarts de revenu entre les pays. Mais à partir d’un certain moment, lorsque leur niveau de vie devient relativement élevé en comparaison avec les autres pays, leur croissance tend au contraire à creuser les écarts de revenu entre pays. Autrement dit, les mêmes forces qui ont contribué à réduire les inégalités mondiales ces dernières décennies contribueront désormais à les creuser à partir d’un certain stade.
Selon les estimations de Kanbur et alii, ce « boomerang » des inégalités mondiales devrait se produire au cours de cette décennie (cf. graphique). Il se serait produit indépendamment de la pandémie de Covid-19, mais cette dernière en a accéléré la survenue. En l’occurrence, plus les inégalités d’accès aux vaccins contre la Covid-19 tardent à se résorber, plus vite s’amorcera la hausse des inégalités mondiales. Si les pays retrouvent le rythme de croissance qu’ils ont connu entre 1990 et 2019, la hausse des inégalités mondiales s’amorcera à la fin des années 2020 (scénario n° 1). Par contre, si les inégalités vaccinales demeurent et continuent de freiner la reprise des pays en développement, alors le boomerang des inégalités mondiales surviendra autour de l'année 2024, si l’on mesure celles-ci au prisme du coefficient de Gini (scénario n° 2), voire même dès 2020, selon d’autres indicateurs.
Références