Au cours des trois dernières décennies, les inégalités mondiales de revenu, c’est-à-dire les écarts de revenu entre l’ensemble des individus à travers le monde, ont eu tendance à diminuer (Lakner et Milanovic, 2016 ; Milanovic, 2021 ; Chancel et Piketty, 2021). En parallèle, les ratios richesses sur revenu ont fortement augmenté dans plusieurs pays développés et en développement (Piketty et Zucman, 2014).
Afin d’éclairer les éventuels liens qui pourraient exister entre ces deux évolutions, Marco Ranaldi (2022) a étudié les répartitions des revenus du capital et du travail entre les individus à travers le monde en 2000 et en 2016. Pour cela, il a construit une base de données couvrant plus de 73 % de la production mondiale et 63 % de la population mondiale.
Comme au niveau de chaque pays, la répartition du revenu du capital est plus concentrée que celle du revenu du travail ; cela dit, le différentiel entre le Gini du revenu du capital et le Gini du revenu du travail est bien moins prononcé au niveau mondial qu’il ne l’est au niveau national. Ranaldi note que ces deux distributions étaient en 2016 moins inégales qu’elles ne l’étaient en 2000 : le coefficient de Gini du revenu du capital a diminué de 3 % entre 2000 et 2016 (en passant de 85 à 82 points), tandis que celui du revenu du travail a baissé de 7 % (en passant de 73 à 67 points). Cette baisse des inégalités de revenu du travail s’explique en grande partie par la conjonction, d’une part, de la modération salariale dans les pays développés et, d’autre part, de la croissance du revenu du travail dans des pays émergents comme la Chine et la Russie.
Au niveau mondial, le revenu du capital moyen a augmenté de 45 % entre 2000 et 2016, en passant de 243 dollars à 355 dollars, tandis que le revenu du travail moyen augmentait de 35 % sur la période, en passant de 4.685 dollars à 6.349 dollars. La faiblesse relative du revenu du capital moyen relativement au revenu du travail moyen s’explique par le fait qu’une large fraction de la population mondiale ne dispose d’aucun revenu du capital. Cela dit, le monde a connu un processus de « capitalisation » : en 2016, 32 % des individus à travers le monde disposaient d’un revenu du capital positif, contre 20 % en 2000.
Ranaldi s’est demandé qui sont les gagnants et les perdants de la croissance observée des revenus du travail et du capital. Presque toute la population dans le monde a connu une croissance positive des revenus du travail et du capital entre 2000 et 2016, à l'exception du premier décile de la répartition des revenus qui a connu une baisse de son revenu du travail au cours de cette période (cf. graphique). Ensuite, il apparaît que la croissance du revenu du capital a été plus forte que la croissance du revenu du travail pour chaque décile de la répartition mondiale des revenus. Le différentiel entre croissance du revenu du capital et croissance du revenu du travail a été particulièrement élevé au milieu de la répartition, ce qui signifie que la classe moyenne mondiale a connu une croissance du revenu du capital exceptionnellement forte en comparaison avec le bas et le sommet de la distribution.
Ces évolutions tiennent particulièrement à la Chine, qui vu l'ensemble de sa population rejoindre les classes moyennes mondiales au cours de cette période : en son sein, le revenu du capital moyen est passé de 19 dollars à 348 dollars entre 2000 et 2016 ; la croissance du revenu du capital y a été vingt fois plus rapide que dans les pays occidentaux.
Références