mercredi 26 mai 2021

Les électeurs punissent-ils les gouvernements qui ont adopté l’austérité ?

Certains estiment que le calendrier des réformes économiques et l’orientation de la politique budgétaire seraient influencés par le calendrier des élections : parce qu’elles sont susceptibles de dégrader l’activité économique, du moins à court terme, les gouvernements auraient tendance à adopter les réformes structurelles et les mesures d’austérité budgétaire au début de leur mandat ; ils auraient par contre tendance à assouplir la politique budgétaire en fin de mandat, afin de stimuler l’activité économique et ainsi accroître leurs chances de rester au pouvoir. Il y aurait ainsi un véritable cycle d’affaires « politique » [Nordhaus, 1975 ; Rogoff et Sibert, 1988 ; Rogoff, 1990]. Dans le même ordre d'idées, les gouvernements seraient moins incités à adopter l'austérité lors des expansions qu'ils ne seraient incités à adopter la relance lors des récessions, ce qui contribuerait à expliquer la hausse tendancielle de l'endettement public [Buchanan et Wagner, 1977].

De telles théories suggèrent que les électeurs tendent à punir les gouvernements qui adoptent un plan d’austérité, mais est-ce vraiment le cas ? Plusieurs études ont cherché à déterminer dans quelle mesure la conjoncture économique ou l’orientation de la politique budgétaire jouent sur les résultats électoraux du parti au pouvoir et elles tendent plutôt à suggérer qu’un parti a d’autant plus de chances de rester au pouvoir que la conjoncture est bonne, et ce même si la plus ou moins bonne santé de l’économie ne s’explique finalement pas par les mesures prises par le gouvernement en place.

Plusieurs analyses se sont penchées sur les répercussions politiques de l’austérité budgétaire ; et cette question pourrait tout particulièrement gagner en attention ces prochaines années, dans la mesure où les dettes publiques se sont envolées dans le sillage de la pandémie. Les consolidations budgétaires ont pu conduire au cours de l’histoire à de véritables désastres politiques : elles ont pu aussi bien contribuer à l’essor du parti nazi en Allemagne, en aggravant les effets de la Grand Dépression (Galofré-Vilà et alii, 2017), qu’à faire basculer le référendum du Brexit en faveur du « leave » (Fetzer, 2019).

Alberto Alesina, Gabriele Ciminell, Davide Furceri et Giorgio Saponaro (2021) ont étudié les répercussions électorales qu’ont pu avoir les plans d’austérité dans 16 pays développés sur la période allant de 1978 à 2014. Certes, leur analyse montre que les plans d’austérités ont plutôt tendance à se révéler électoralement coûteux pour les gouvernements qui les mettent en place, mais elle suggère aussi que l’ampleur de ces coûts électoraux dépend étroitement de la position de l’économie dans le cycle d’affaires lorsqu’ils sont mis en œuvre : ils sont bien moins coûteux lors d’une expansion que lors d’une récession. Cette première observation vient confirmer une leçon de base en macroéconomie : les gouvernements doivent adopter une politique budgétaire contracyclique et chercher à se désendetter, en l’occurrence à adopter des mesures de consolidation budgétaire, lorsque l’économie est en expansion, afin d’en amortir les coûts économiques. 

L’analyse d’Alesina et alii suggère également que les répercussions électorales des plans d'austérité dépendent étroitement de leur composition et de l’orientation partisane des gouvernements qui les ont mis en œuvre. Leur analyse suggère que les plans d’austérité s’appuyant sur une hausse des impôts se traduisent par d’importants coûts électoraux pour les gouvernements : un plan d’austérité s'appuyant essentiellement sur les hausses d'impôts et équivalent à 1 % du PIB se traduit par une baisse de 7 % des parts de votes exprimés en faveur du parti au pouvoir. Les gouvernements de droite sont moins susceptibles d’adopter un plan d’austérité s’appuyant sur une hausse des impôts que les gouvernements de gauche, mais lorsqu’ils le font ils sont davantage sanctionnés que ces derniers. Par contre, les plans d’austérité s’appuyant sur une baisse des dépenses publiques nuisent aux gouvernements de gauche, mais bénéficient aux gouvernements de droite.


Références

ALESINA, Alberto, Gabriele CIMINELL, Davide FURCERI & Giorgio SAPONARO (2021), « Austerity and elections », FMI, working paper, n° 21/121.

BUCHANAN, James, & Richard WAGNER (1977), The Political Legacy of Lord Keynes, Academic Press.

FETZER, Thiemo (2019), « Did austerity cause Brexit? », American Economic Review, vol. 109, n° 11. 

GALOFRÉ-VILÀ, Gregori, Christopher M. MEISSNER, Martin MCKEE & David STUCKLER (2017), « Austerity and the rise of the nazi party », NBER, working paper, n° 24106. 

NORDHAUS, William D. (1975), « The political business cycle », Review of Economic Studies, vol. 42.

ROGOFF, Kenneth S. (1990), « Equilibrium political business cycles », The American Economic Review, vol. 80, n° 1.  

ROGOFF, Kenneth S., & Anne SIBERT (1988), « Election and macroeconomic policy cycles », The Review of Economic Studies, vol. 55, n° 1.