vendredi 3 janvier 2025

Les bébés et la macroéconomie

Les niveaux de fécondité ont fortement décru dans pratiquement chaque pays dans le monde, mais le calendrier de cette baisse n’a pas été le même parmi les pays développés. En Europe, en Asie et en Amérique du nord, les taux de fertilité de certains pays ont chuté sous le taux de renouvellement (le seuil de 2,1) dès 1970. Dans d’autres pays, les taux de fertilité sont restés importants jusqu’aux années 1990, mais chuté ensuite.

Claudia Goldin (2024) a cherché à savoir pourquoi certains pays en Europe et en Asie avec des niveaux de fécondité modérés dans les années 1980 (notamment la Corée du Sud, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Japon, le Portugal) sont aujourd’hui les pays ayant les plus faibles taux de fécondité aujourd’hui, en l’occurrence inférieurs à 1,3, tandis que ceux qui ont vu leur taux de fertilité chuter plus tôt (notamment l’Allemagne, le Danemark, la France, le Royaume-Uni et la Suède) n’ont pas connu une telle chute. La deuxième question est de savoir pourquoi le point de croisement a eu lieu autour des années 1980 et 1990.

Goldin note que les deux groupes de pays se distinguent notamment par leur niveau de croissance dans les années 1960 et 1970. Les pays avec les taux de fécondité les plus bas aujourd’hui avaient connu à l’époque une forte croissance de leur niveau de revenu par tête qui faisait suite à une période prolongé de stagnation ou de déclin. 

Selon l’interprétation de Goldin, ces pays ont été catapultés dans la modernité, mais les croyances, valeurs et traditions de leurs habitants ont changé plus lentement, ce qui aurait entraîné des conflits entre les générations et les genres, notamment en matière de fécondité.

En effet, une croissance économique rapide se traduit par un élargissement des libertés pour les femmes, tandis que les hommes peuvent rester davantage attachés à la tradition. Notamment pour être actives sur le marché du travail, les femmes demanderaient aux hommes de consacrer davantage de temps pour élever les enfants, mais elles leur en demanderaient davantage qu’ils ne sont prêts à en accorder. Les tâches domestiques restant de la responsabilité des femmes, ces dernières nourriraient en conséquence un moindre désir d’enfantement, ce qui se traduirait par une chute de la fécondité. 

A l’inverse, dans les pays où la croissance a été plus régulière et où les normes ont pu plus facilement s’adapter, notamment avec une baisse plus rapide des inégalités dans le partage des tâches domestiques, de tels conflits générationnels et de genre seraient moins importants. Dans ces pays, les désirs d’enfantement nourris respectivement par les femmes et les hommes seraient restés en accord, ce qui aurait permis de maintenir les taux de fécondité à des niveaux plus élevés. 


Référence

GOLDIN, Claudia (2024), « Babies and the macroeconomy », NBER, working paper, n° 33311.