samedi 4 janvier 2025

Pourquoi la vie s’améliore après 50 ans… pour certains

Plusieurs travaux ont mis en évidence une relation en forme de U entre le niveau de bien-être des individus et l’âge : le bien-être tend à diminuer à partir de la fin de l’adolescence et commencerait à remonter à partir d’un certain âge autour de 50 ans (Blanchflower et Oswald, 2008 ; Blanchflower, 2021 ; Perona et al., 2023). Plusieurs explications ont été proposées pour expliquer le profil de cette relation, notamment des explications d’ordre biologique. 

Coen van de Kraats, Titus Galama, Maarten Lindeboom et Zichen Deng (2024) suggèrent une autre explication, de nature sociale : le relâchement de la norme sociale du travail améliorerait le bien-être mental de ceux qui ne peuvent la respecter, en particulier les chômeurs. En effet, plusieurs études ont montré que l’épreuve du chômage se traduit par une baisse du bien-être des individus et que celle-ci ne s’explique pas par la seule baisse du revenu. Travailler, lorsqu’on est en âge de le faire et (physiquement) capable de le faire, est une norme dans la société (Méda, 2010). Le fait de ne pas travailler est mal perçu ; les chômeurs eux-mêmes tendent à se déconsidérer. 

En s’appuyant sur un échantillon de 10 pays européens tirés de l’enquête SHARE, Van de Kraats et ses coauteurs observent une baisse de la fréquence moyenne de la dépression : cette baisse est de presque 8 points de pourcentage entre 50 et 70 ans, une fois contrôlés le niveau de diplôme, le revenu, le statut matrimonial et le statut sur le marché du travail.

Le tableau change radicalement lorsque Van de Kraats et ses coauteurs distinguent deux groupes d’individus, d’une part, ceux qui occupent un emploi ou sont à la retraite et, d’autre part, les chômeurs. En effet, ils notent que le bien-être mental est stable avec l’âge pour les personnes occupant un emploi ou les retraités, mais ils observent une forte amélioration du bien-être mental des (hommes) chômeurs après l’âge de départ à la retraite anticipée : pour ces derniers, le risque de dépression baisse de 20 points de pourcentage entre 50 et 70 ans. Van de Kraats et ses coauteurs observent un tel schéma dans chaque pays de leur échantillon. 

Selon l’interprétation qu’ils en donnent, le bien-être mental ne varie guère pour ceux en emploi ou à la retraite, car ceux-ci respectent la norme sociale du travail. Si les chômeurs voient leur bien-être mental s’améliorer à partir de l’âge de départ anticipé à la retraite, c’est parce que cette norme sociale tend alors à se desserrer : à mesure qu’ils vieillissent, il est de plus en plus fréquent qu’ils côtoient des personnes n’ayant plus à travailler en raison de leur âge. 

Van de Kraats et ses coauteurs concluent que la norme sociale du travail a un substantiel effet négatif sur le bien-être mental des hommes au milieu de l’existence. En  l’occurrence, ils estiment que cet effet est par exemple similaire à celui provoqué par celui de se retrouver veuf. A mesure que les pairs prennent leur retraite et que la norme sociale s’affaiblit, le bien-être mental des chômeurs s’améliore.

 

Références

BLANCHFLOWER, David G. (2021), « Is happiness U-shaped everywhere? Age and subjective well-being in 145 countries », Journal of Population Economics, vol. 34, n° 2. 

BLANCHFLOWER, David G., & Andrew J. OSWALD (2008), « Is well-being U-shaped over the life cycle?  », Social Science & Medicine, vol. 66, n° 8. 

KRAATS, Coen van de, Titus GALAMA, Maarten LINDEBOOM & Zichen DENG (2024), « Why life gets better after age 50, for some: Mental well-being and the social norm of work », IZA, discussion paper, n° 17586. 

MEDA, Dominique (2010), « Comment mesurer la valeur accordée au travail ? », Sociologie, vol. 2010/1. 

PERONA, Mathieu, Claudia SENIK & Hippolyte d’ALBIS (2023), « Les âges du bien-être », CEPREMAP, note de l'Observatoire du Bien-être, n° 2023-14.