mercredi 24 juillet 2024

Quelle attention les individus portent-ils à l’inflation quand celle-ci reflue ?

Des travaux, comme l’étude d’Oleg Korenok et al. (2023), ont suggéré que les individus ne font attention à l’inflation que lorsque cette dernière dépassait un seuil autour de 3-4 %. En l’occurrence, si l’inflation reste inférieure à ce seuil, les ménages et les entreprises l’ignorent. Inversement, si elle le dépasse, alors ils y prêtent davantage attention. Mais alors, dans ce cas, on peut penser que les entreprises pourraient peut-être être incitées à davantage relever leurs prix dans l’anticipation d’une érosion de leurs profits, tandis que les travailleurs pourraient peut-être être davantage incités à chercher à négocier des hausses de salaires dans l’anticipation d’une érosion de leur pouvoir d’achat. Par conséquent, l’inflation pourrait avoir tendance à facilement refluer tant qu’elle n’a pas dépassé le seuil d’attention, mais pourrait au contraire avoir tendance à facilement s’aggraver et devenir plus persistante une fois qu’elle a dépassé ce seuil.

Dans une nouvelle étude, Oleg Korenok et David Munro (2024) ont observé comment évolue l’attention que les individus portent à l’inflation lors des épisodes de désinflation. Ils mesurent celle-ci en s’appuyant notamment sur les recherches associées au mot « inflation » sur Google et sur l’évocation de l’inflation dans les journaux. 

Lorsque l’inflation diminue, l’attention prêtée à l’inflation tend certes à également diminuer, mais lentement. En ce qui concerne l’actuel épisode inflationniste, Korenok et Munro notent que dans les pays où l’inflation est retournée aux niveaux inférieurs au seuil initial, l’attention vis-à-vis de l’inflation reste deux à trois fois plus forte qu’elle ne l’était avant l’épisode inflationniste pour des niveaux d’inflation similaires. En définitive, il apparaît que l’attention prêtée à l’inflation augmente fortement lorsque l’inflation augmente (une fois le seuil franchi), mais qu’elle ne diminue que lentement lorsque l’inflation reflue.

Cela ne veut pas forcément dire que les individus révisent à la hausse leurs anticipations d’inflation à la hausse ; ces anticipations sont d’ailleurs restées globalement ancrées à un faible niveau lors du récent épisode inflationniste. La plus grande attention portée à l’inflation pourrait en revanche faire de l’inflation un point focal lors des négociations salariales. Steven Kamin et John Roberts (2023) avaient observé que la croissance des salaires était corrélée avec l’inflation passée. Korenok et Munro répliquent leurs résultats et concluent que cette corrélation est significativement plus forte lorsque l’attention portée à l’inflation est forte. 

Tout cela pourrait contribuer à ralentir le reflux de l’inflation, notamment lors de l’actuel épisode de désinflation : alors que les chocs de demande et les perturbations des chaînes de valeur internationales se sont dissipés, les travailleurs continuent de porter une grande attention à l’inflation, ce qui se traduit par une forte croissance des salaires comme les travailleurs cherchent à recouvrer leurs pertes en pouvoir d’achat.
 

Références  

KAMIN, Steven B., & John M. ROBERTS (2023), « Will a recovery of real wages obstruct progress toward disinflation? », American Economic Institute, economics working paper, n° 2023-09.

KORENOK, Oleg, & David MUNRO (2024), « The rockets and feathers of inflation attention », Global Labor Organization, discussion paper, n° 1463.

KORENOK, Oleg, David MUNRO & Jiayi CHEN (2023), « Inflation and attention thresholds », The Review of Economics and Statistics.