Après avoir s’être maintenue longuement à un faible niveau, l’inflation a commencé à augmenter au cours de l’année 2021 à travers le monde et elle a ensuite atteint des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis une quarantaine d’années. Le taux d’inflation mondial est passé de 3,2 % en 2020 à 8,7 % en 2022. Dans certaines économies, la hausse a été bien plus forte. C’est notamment le cas de la zone euro : le taux d’inflation de celle-ci est passé de 0,3 % à 8,4 %. Beaucoup de banques centrales ont amorcé un cycle de resserrement monétaire pour réduire l’inflation et, dans le cas de plusieurs d’entre elles, la ramener à une cible de 2 %. Il s’agit d’ailleurs du resserrement monétaire le plus synchronisé que le monde ait connu.
Les gouvernements ont également adopté des mesures face à la forte inflation. Selon la théorie standard, ils peuvent soutenir l’action des banques centrales dans leur lutte contre l’inflation en resserrant leur politique monétaire pour déprimer davantage la demande globale et par ce biais l’inflation. Ce n’est pas forcément ce qu’ils ont fait depuis l’année dernière. Dans la mesure où la hausse de l’inflation en grande partie à la hausse des prix de l’énergie, beaucoup d’Etats européens ont plutôt cherché à contrer cette dernière : ils se sont appuyés sur les revenus de transfert, la subvention aux énergies et la réduction d’impôts pour réduire la facture d’énergie pour les ménages et les entreprises. Selon la théorie standard, une telle réaction est susceptible d’être contre-productive en désincitant les ménages et entreprises à réduire leur consommation d’énergie, c’est-à-dire en alimentant la demande, donc l’inflation, tout en pesant fortement sur les finances publiques.
Dans un nouveau document de travail FMI qui avait été présenté à la conférence à Sintra il y a quelques mois, Mai Chi Dao, Allan Dizioli, Chris Jackson, Pierre-Olivier Gourinchas et Daniel Leigh (2023) ont analysé les effets de ces mesures budgétaires « non orthodoxes » dans un modèle néo-keynésien semi-structurel. Ils estiment que ces mesures ont contribué à réduire en 2022 l’inflation de la zone euro de 2,2 points de pourcentages, et ce via trois canaux : directement, en contenant les chocs sur l’inflation globale ; indirectement, en freinant la transmission de ces chocs sur l’inflation sous-jacente ; et plus indirectement encore, en contribuant à contenir les anticipations d’inflation à long terme. En définitive, celles-ci ont soutenu l’action de la banque centrale en contenant l’inflation. En leur absence, l’inflation globale aurait atteint un pic de 13,7 % en octobre 2022 et elle aurait été de 8,1 % en avril 2023 et non de 7,0 % comme on a pu l’observer ce mois-là (cf. graphique 2).
Dao et ses coauteurs en concluent que lorsque les chocs touchant l’inflation sont importants et entraînent des non-linéarités, les mesures budgétaires non conventionnelles peuvent être efficaces pour réduire l’inflation lorsque l’économie n’est pas en surchauffe. Si les Etats-Unis, dont l’économie est en surchauffe, avaient adopté des mesures budgétaires non conventionnelles, celles-ci auraient certainement poussé davantage l’inflation américaine à la hausse. La zone euro a eu de la chance : si elle avait été en surchauffe ou si les chocs touchant les prix énergétiques avaient été plus persistants, les mesures budgétaires non conventionnelles n’auraient peut-être pas eu des effets aussi positifs.
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