mardi 28 février 2023

Un resserrement monétaire nuit d'autant plus à la demande que la dette est élevée

L’inflation a fortement augmenté suite à la pandémie. Les banques centrales ont resserré leur politique monétaire ces derniers trimestres pour freiner la hausse des prix et elles n’affichent guère d’autre intention, pour l’instant, que de poursuivre ce resserrement. Or, ce resserrement monétaire a pour particularité de s’opérer dans un contexte de fort endettement du secteur privé. En effet, le niveau d’endettement des ménages et des entreprises non financières a augmenté depuis les années 1970 (cf. graphique). Le ratio dette sur PIB a certes baissé dans des pays très exposés à la crise financière mondiale, notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni ; mais il atteint dans d’autres des niveaux historiquement élevés. 

Comme l’étudient Miguel Ampudia et alii (2023) dans le dernier Bulletin de la BRI, un niveau élevé d’endettement privé est susceptible d’accroître la sensibilité de la demande globale au resserrement monétaire via plusieurs canaux. En l’occurrence, une hausse des taux d’intérêt pousse les entreprises et ménages endettés à resserrer leurs dépenses en alourdissant le service de la dette. De plus, la hausse des taux d’intérêt entraîne un transfert de revenu des plus pauvres vers les plus riches, or la propension à consommer des premiers est plus élevée que celle des seconds, ce qui déprime la demande globale. En outre, les vulnérabilités financières sont plus fortes lorsque les ménages et entreprises sont endettés, ce qui amplifie l’impact d’un resserrement monétaire sur la demande globale, notamment en incitant davantage les banques à restreindre leur offre de crédit. 

Plusieurs analyses empiriques confirment que le niveau de dette privée affecte la sensibilité de la demande globale aux resserrements de la politique monétaire (Hofmann et Peersman, 2017). Suite à une hausse des taux d’intérêt, la production tend à diminuer ; cette baisse de la production est plus marquée dans les pays présentant les niveaux de dette privée les plus élevés. Les ménages tendent d’autant plus à réduire leurs dépenses et les entreprises à réduire leurs investissements qu’ils sont endettés. 

La composition de la dette joue également sur la transmission de la politique monétaire. Certes, celle-ci n’est pas la même d’un pays à l’autre. Par exemple, les crédits à taux variable ne représentent qu’une faible part de l’ensemble des crédits immobiliers dans certains pays, souvent des pays développés, notamment les Etats-Unis et la France. La part est plus élevée dans d’autres pays ; en l’occurrence, la majorité des crédits immobiliers sont à taux variable dans plusieurs pays en développement. Mais globalement, Ampudia et ses coauteurs notent que la part de la dette à taux variable, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises, a eu tendance à baisser depuis la crise financière mondiale, probablement parce que la faiblesse des taux d’intérêt a incité les ménages et les entreprises à s’endetter à taux fixe. En outre, la valeur nette des ménages s’est améliorée au cours de la dernière décennie. Or, les ménages et les entreprises sont d’autant moins incités à réduire leurs dépenses lors d’un resserrement monétaire que la part à taux variable de leur endettement est faible et que leur valeur nette est élevée. 

En définitive, même si les changements dans la composition de la dette privée font contrepoids, la hausse du niveau de cette dernière a sûrement rendu la demande globale plus sensible aux resserrements de la politique monétaire. En outre, la dette publique atteignant également les niveaux historiquement élevés, les gouvernements pourraient moins chercher à contrer les effets du resserrement monétaire ; la remontée des taux d’intérêt pourrait au contraire les inciter à adopter des mesures d’austérité en les poussant à chercher à se désendetter. 

Ampudia et ses coauteurs n’en concluent pas pour autant que cela réduit l’ampleur du resserrement monétaire qui s’avère actuellement nécessaire pour ramener l’inflation à des niveaux plus faibles. Par exemple, l’accroissement des vulnérabilités financières dû au resserrement monétaire peut davantage inciter les entreprises à répercuter la hausse de leurs coûts sur leurs prix de vente. 


Références

AMPUDIA, Miguel, Fiorella DE FIORE, Enisse KHARROUBI & Cristina MANEA (2023), « Private debt, monetary policy tightening and aggregate demand », BRI, BIS Bulletin, n° 70.

HOFMANN, Boris, & Gert PEERSMAN (2017), « Is there a debt service channel of monetary transmission?  », BRI, BIS Quarterly Review, décembre.