Depuis le début de l’année 2021, l’inflation a fortement augmenté à travers le monde. Dans les pays développés, elle a retrouvé des niveaux qu’elle n’avait plus atteints depuis une quarantaine d’années. Cet emballement de l’inflation met un terme à plusieurs décennies d’inflation faible et stable. L’une des craintes est que les anticipations d’inflation à long terme cessent d’être ancrées à un faible niveau, ce qui compliquerait le reflux de l’inflation (Blanchard, 2022 ; Reis, 2022).
Andrés Blanco, Pablo Ottonello et Tereza Ranosova (2022) ont étudié empiriquement les épisodes de fortes hausses de l’inflation qui ont été observés autour du monde au cours des trois dernières décennies. Ils réalisent une étude d’événement en utilisant les données relatives aux anticipations d’inflation de court et de long termes tirées des enquêtes auprès des prévisionnistes professionnels dans 55 pays, ainsi que d’autres données macroéconomiques. Il tirent quatre grands constats de leur analyse.
Premièrement, l’inflation, après une forte hausse, tend à être persistante : après avoir augmenté en moyenne de 5,4 points de pourcentage lors de la première année, l’inflation reste élevée plusieurs années après avoir atteint son pic. La durée de la désinflation subséquente est plus longue que celle de la hausse de l’inflation : la désinflation dure en moyenne de 3 à 4 ans, soit une durée trois fois plus longue que celle de la hausse initiale de l’inflation. Le profil suivi par le taux d’inflation s’apparente en définitive à un « swoosh » inversé.
Deuxièmement, les hausses de l’inflation sont initialement non anticipées, mais elles sont suivies par un rattrapage graduel des anticipations moyennes d’inflation à court terme sur l’inflation observée. Le degré de désaccord dans les anticipations d’inflation à court terme augmente tout d’abord, puis se dissipe après trois ans, ce qui signifie que ce n’est initialement qu’une fraction des prévisionnistes qui relèvent leurs anticipations d’inflation à court terme.
Troisièmement, les anticipations d’inflation à long terme tendent à légèrement augmenter et cette hausse persiste tout au long de la désinflation. Le degré de désaccord dans les anticipations d’inflation à long terme n’augmente pas fortement, ce qui suggère que c’est l’ensemble des prévisionnistes qui relèvent de concert leurs anticipations d’inflation.
Quatrièmement, les banques centrales réagissent par des hausses des taux d’intérêt nominaux : ces derniers augmentent en moyenne de 2,6 points de pourcentage par rapport à leur niveau antérieur. Mais il n’y a guère de hausses des taux d’intérêt réels, sous l'effet du relèvement des anticipations d'inflation. Il n’y a pas non plus de resserrement des soldes budgétaires : les soldes budgétaires tendent initialement à se détériorer et ne s’améliorent que légèrement par rapport à leurs niveaux antérieurs trois ans après la hausse de l’inflation. Ainsi, les autorités semblent faire preuve d’une « peur du resserrement » (fear of tightening) : elles ne choisissent pas de resserrer franchement les politiques monétaires et budgétaires face aux fortes hausses de l’inflation.
Blanco et ses coauteurs font d’autres constats. Par exemple, ils notent que la croissance de la production tend initialement à se ralentir, tandis que le chômage tend à augmenter, pour atteindre un pic environ trois ans après le début de la hausse de l’inflation. Reste à savoir dans quelle mesure ce ralentissement de l’activité économique et cette détérioration de la situation sur le marché du travail s’expliquent par la hausse de l’inflation plutôt que par d'autres facteurs, notamment le resserrement de la politique monétaire.
Références
REIS, Ricardo (2022), « The burst of high inflation in 2021–22: How and why did we get here? », in M. Bordo, J. Cochrane & J. Taylor (dir.), How Monetary Policy Got Behind the Curve—And How to Get it Back, Hoover Institution Press.