mercredi 20 mars 2024

Comment s’est répartie la dette des ménages américains depuis 1950 ?

Entre 1950 et la crise financière de 2007, la dette des ménages américains, rapportée au revenu, a été multipliée par quatre (cf. graphique 1). Le ratio dette sur revenu est passé de 30 % au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à quasiment 120 % en 2010, avant de légèrement baisser dans le sillage de la crise financière.

Depuis la crise financière de 2007-2009, de nombreux travaux ont montré que la dette des ménages a joué un rôle significatif, non seulement dans cette crise, mais plus largement dans de nombreuses crises financières et tout au long du cycle d’affaires. Focalisés sur l’épisode de la Grande Récession aux Etats-Unis, Atif Mian et Amir Sufi (2009, 2011) ont montré que les zones où sont concentrés les plus modestes ont été marquées par une forte explosion du crédit hypothécaire dans les années qui précédèrent la crise et qu’elles ont été marquées, lors de la crise, par une forte hausse des défauts de paiement et par d’amples fortes chutes de la production et de l’emploi. Cela dit, plusieurs travaux, notamment ceux de Manuel Adelino et al. (2016) ont remis en cause l’idée que la crise financière de 2007-2009 tienne au seul surendettement des plus modestes : la dette des classes moyennes a joué à un rôle clé dans l’accumulation des déséquilibres qui ont mené à la crise financière de 2007-2009. Michael Kumhof et al. (2015) ont noté que la Grande Dépression des années 1930 et la Grande Récession de 2007-2009 ont été toutes deux précédées par une hausse des inégalités de revenu et par une hausse de l’endettement des ménages à bas revenu et à revenu intermédiaire ; ils ont montré à travers un modèle comment une telle déformation du partage des revenus peut conduire les plus modestes et les classes moyennes à s’endetter et, par ce biais, à augmenter le risque de crise financière. Egalement à travers un modèle, Atif Mian et al. (2021) suggèrent que la hausse des inégalités de revenu a pu alimenter l’endettement des ménages en poussant à la baisse le taux d’intérêt naturel. 

Poursuivant une de leurs précédentes études (Bartscher et al., 2020), Alina Bartscher, Moritz Kuhn, Moritz Schularick et Ulrike Steins (2024) ont utilisé de nouvelles données relatives au revenu, aux actifs et à la dette des ménages américains pour mieux comprendre la hausse de cette dette et voir comment elle se répartit.

Depuis le mitan du vingtième siècle, l’essentiel de la dette des ménages a été sous la forme de crédits hypothécaires : ces dernières ont eu, tout au long de la période, une valeur assez stable autour des 80 % de l’ensemble de la dette. Initialement, dans les années 1950 et au début des années 1960, le ratio dette sur revenu des ménages a augmenté à la marge extensive : il augmentait car le nombre de ménages qui empruntaient augmentait. Après 1980, le ratio dette sur revenu des ménages a augmenté à la marge intensive : il augmentait parce que les ménages ont emprunté des montants toujours plus importants.

Ces quatre dernières décennies ont notamment été marquées par une divergence entre la croissance de la dette et la croissance du revenu des ménages américains (cf. graphique 2). La répartition de la dette entre les différents groupes de revenu est toutefois restée remarquablement stable : les 50 % des ménages aux plus hauts revenu ont toujours possédé environ 80 % de la dette totale des ménages.

Bartscher et ses coauteurs trouvent que pratiquement la moitié de la dette après 1980 tient à l’extraction de valeur immobilière (home equity extraction) : les ménages ont profité de la hausse de la valeur de leur bien immobilier pour emprunter davantage, ce qui leur a permis de réaliser des plus-values qui seraient sinon restées illiquides. Ces plus-values se sont concentrées entre les mains de la classe moyenne blanche, mais réparties inégalement entre les générations : ce sont les cohortes nées entre 1935 et 1954 qui ont extrait le plus de valeur.

Au niveau agrégé, les ménages américains ne sont pas devenus plus pauvres : le surcroît de dette n’a pas réduit leur valeur nette grâce à la hausse des prix des logements. Mais, en parallèle, la hausse de leurs bilans a augmenté la fragilité financière. 


Références

ADELINO, Manuel, Antoinette SCHOAR & Felipe SEVERINO (2016), « Loan originations and defaults in the mortgage crisis: The role of the middle class », The Review of Financial Studies, vol. 29, n° 7. 

BARTSCHER, Alina, Moritz KUHN, Moritz SCHULARICK & Ulrike STEINS (2020), « Modigliani meets Minsky: Inequality, debt, and financial fragility in America, 1950-2016 », CEPR, discussion paper, n° 14667. 

BARTSCHER, Alina, Moritz KUHN, Moritz SCHULARICK & Ulrike STEINS (2024), « The distribution of household debt in the United States, 1950-2019 », CEPR, discussion paper, n° 18929. 

KUMHOF, Michael, Romain RANCIÈRE & Pablo WINANT (2015), « Inequality, leverage, and crises », American Economic Review, vol. 105, n° 3. 

MIAN, Atif, Ludwig STRAUB & Amir SUFI (2021), « Indebted Demand », The Quarterly Journal of Economics, vol. 136, n° 4. 

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2009), « The consequences of mortgage credit expansion: Evidence from the U.S. mortgage default crisis », The Quarterly Journal of Economics, vol. 124, n° 4. 

MIAN, Atif, & Amir SUFI (2011), « House prices, home equity-based borrowing, and the U.S. household leverage crisis », American Economic Review, vol. 101, n° 5.