Beaucoup évoquent actuellement des problèmes de recrutement dans les pays développés, sous l'effet de la pandémie de Covid-19. Indépendamment de cette dernière, les pays développés sont susceptibles d'être de plus en plus confrontés aux pénuries de main-d'œuvre, dans la mesure où ils subissent un vieillissement démographique et ne relâchent guère leur politique migratoire. Il paraît évident qu’une situation de pénurie de main-d’œuvre devrait stimuler la robotisation. Pourtant la littérature empirique a peu exploré ce lien de causalité.
Katja Mann et Dario Pozzoli (2022) ont cherché à voir si le changement dans l’offre de travail peu qualifié affecte l’adoption de robots. Pour cela, ils ont exploité une expérience naturelle : l’arrivée d’immigrés dans les municipalités danoises. La Danemark a en effet connu une forte vague d’immigration à partir des années 1990. Elle a été pour l’essentiel provoquée par des facteurs exogènes comme les conflits en Yougoslavie et dans certains pays africains dans les années 1990 et l’élargissement de l’Union européenne vers l’est dans les années 2000. En conséquence, la part d’immigrés dans la population danoise est passée de 1,5 % en 1995 à pratiquement 8 % en 2019. Au niveau des municipalités, l’arrivée d’immigrés s’est apparentée à une hausse exogène de l’offre locale de travail peu qualifiée : le placement des immigrés a été quasi aléatoire, ne prenant en compte ni les caractéristiques des immigrés, ni les conditions économiques en vigueur localement. Mann et Pozzoli ont combiné les informations relatives à l’arrivée des immigrés avec les données relatives aux robots utilisés par les entreprises au niveau local pour la période allant de 1995 à 2019 pour voir si l’immigration a affecté l’usage de robots.
Mann et Pozzoli constatent qu’un accroissement de la part d’immigrés dans la population des municipalités se traduit par une baisse des importations de robots au niveau des entreprises locales. En l’occurrence, une hausse de la part d’immigrés provenant de pays non occidentaux diminue la probabilité d’adoption de robots de 7 %. Ils constatent en outre qu’une part plus élevée d’immigrés se traduit par des salaires plus faibles pour les travailleurs les moins qualifiés et que les travailleurs immigrés tendent à avoir de plus faibles salaires que les travailleurs autochtones au niveau de qualification similaire.
En définitive, les entreprises semblent avoir considéré les immigrés et les robots comme des substituts. L’arrivée de travailleurs immigrés a vraisemblablement accru l’offre de travail peu qualifié et poussé par ce biais les salaires à la baisse. Comme le coût du travail a diminué, les entreprises ont eu moins d’incitations à automatiser leur production. Réciproquement, les municipalités qui ont accueilli le moins d’immigrés ont dû davantage souffrir de pénuries de main-d’œuvre peu qualifiée et les entreprises ont réagi à celles-ci en adoptant des robots.
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