mardi 27 décembre 2022

Quels seraient les coûts de l’« amicalisation » des échanges ?

Depuis les années 1980, les échanges commerciaux ont connu une nouvelle vague de mondialisation. Avec la réduction des barrières à l’échange et les avances en matière de technologies de communication, les entreprises ont externalisé et délocalisé une part croissante de leurs tâches de production.

Mais ces dernières années, les chaînes de valeur internationales ont connu d’importantes perturbations. L’épidémie de Covid-19, puis l’invasion russe de l’Ukraine, ont brutalement montré que les pays étaient devenus très dépendants du bon fonctionnement des chaînes de valeur pour s’approvisionner en certains produits critiques (par exemple en produits médicaux comme les masques lors des premiers temps de la pandémie) et que celui-ci était loin d’être assuré. Avec les sanctions adoptées par les pays occidentaux à l’égard de la Russie, tout comme avec les chantages de cette dernière sur l’approvisionnement en gaz naturel ou sur les livraisons de produits agricoles ukrainiens, ce sont les échanges commerciaux qui ont été utilisés comme moyen de pression à des fins géopolitiques, voire comme l’équivalent d’arme.

Les récentes tensions géopolitiques et les perturbations des chaînes de valeur ont conduit beaucoup de dirigeants à reconsidérer leur approche de la mondialisation. Afin de réduire leur dépendance envers des pays potentiellement hostiles et sécuriser leur approvisionnement en intrants critiques, certains pays pourraient opter pour l’« amicalisation » (friend-shoring), c’est-à-dire la relocalisation de l’approvisionnement en intrants dans les pays présentant des valeurs similaires aux leurs ou qui se montrent pacifiques. C’est par exemple ce à quoi Janet Yellen, la secrétaire du Trésor américain, a explicitement appelé lors d’un discours le 13 avril 2022. Depuis son allocution, l’administration Biden a fait passer plusieurs lois, comme récemment l’Inflation Reduction Act, poussant davantage les entreprises américaines à s’approvisionner en intrants auprès d’alliés des Etats-Unis, notamment pour la production des semi-conducteurs et des batteries.

La vague de mondialisation qui s’est ouverte dans les années 1980 s’est faite avant tout selon la logique de la recherche du moindre coût. En conséquence, si les pays adoptaient désormais une logique d’amicalisation, ce ne serait pas simplement la structure des échanges qui serait susceptible de s’en trouver affectée. Son adoption se traduirait probablement par une perte en efficacité.

Beata Javorcik, Lucas Kitzmueller, Helena Schweiger et Muhammed Yıldırım (2022) ont cherché à estimer les coûts économiques de l’amicalisation des échanges en utilisant un modèle quantitatif prenant en compte les relations intersectorelles et internationales. Selon leurs estimations, l’amicalisation entraînerait une perte de 4,6 % du PIB réel mondial. Aucun pays n’en profiterait à moyen terme. Ce serait en l’occurrence les pays d’Asie du sud-est qui en seraient les plus affectés. En définitive, si l’amicalisation peut fournir une assurance contre les perturbations extrêmes et augmenter la sécurité de l’approvisionnement en intrants critiques, il apparaît qu’elle se ferait à un coût significatif. 

 

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