mardi 1 novembre 2022

L’endettement des firmes amplifie l’effet cicatrice des récessions

Les récessions tendent à présenter un « effet cicatrice » : l’activité est durablement déprimée, si bien qu’elle ne parvient guère à revenir à la trajectoire qu’elle tendait à suivre avant qu'éclate la crise (Aikman et alii, 2022). L’un des mécanismes passe par l’investissement des entreprises : lors d’une récession, la faiblesse de la demande réduit les incitations des entreprises à investir, tandis que celles qui cherchent malgré tout à investir risquent d’avoir davantage de difficultés à financer leurs projets. Or, une baisse de l’investissement ne contribue pas seulement à déprimer la demande à court terme, donc potentiellement à aggraver la récession et à retarder la reprise ; elle réduit les capacités de production à plus long terme. 

On peut naturellement penser que cet effet est susceptible d’être plus marqué pour les entreprises les plus endettées, dans la mesure où elles risquent davantage d’annuler des projets d’investissement pour rembourser leur dette et où elles risquent davantage de perdre la confiance des prêteurs pour l’octroi d’un nouveau crédit. 

Plusieurs travaux empiriques ont montré que les récessions exerçaient un effet cicatrice sur l’investissement ; c’est par exemple le cas de Davide Furceri et Annabelle Mourougane (2012) en ce qui concerne les crises financières. Des analyses, notamment focalisées sur les répercussions de la crise financière de 2008, montrent ou du moins suggèrent que cet effet est davantage marqué pour les entreprises les plus endettées. En l’occurrence, dans une étude focalisée sur les firmes européennes, Sebnem Kalemli-Özcan et alii (2022) ont noté que les entreprises avec les niveaux les plus élevés de dette et pour lesquelles une part importante de la dette est à court terme tendent à être celles qui ont le plus réduit leur investissement après la crise financière mondiale. De leur côté, Romain Duval et alii (2020) ont constaté que les entreprises qui sont entrées dans la Grande Récession avec les bilans les plus fragiles ont vu ultérieurement leur croissance de la productivité globale des facteurs ralentir relativement à celles présentant des bilans plus solides, notamment parce qu’elles tendaient à davantage réduire leurs investissements immatériels et à davantage restreindre leurs activités d’innovation.

Dans une nouvelle étude du FMI, Julia Estefania-Flores, Davide Furceri, Pablo Gonzalez-Dominguez, Siddharth Kothari et Nour Tawk (2022) ont cherché à estimer l’effet cicatrice des récessions sur l’investissement des entreprises et à déterminer dans quelle mesure l’endettement des entreprises joue sur celui-ci. Pour cela, ils ont étudié un échantillon de plus de 24.000 entreprises réparties dans 75 pays développés et en développement pour la période allant de 2001 à 2020.

Ils constatent que les chocs récessifs qui se sont produits au cours de la période étudiée ont entraîné une chute significative et durable de l’investissement des entreprises : par rapport aux tendances observées avant une récession, l’investissement d’une entreprise est en moyenne  inférieur de 30 % quatre trimestres après la récession et de 15 % douze trimestres après (cf. graphique 1). L’effet est bien sûr hétérogène d’une entreprise à l’autre. En l’occurrence, il tend à être d’autant plus marqué que l’entreprise est endettée : la perte d’investissement est 2 % plus élevée pour les entreprises fortement endettées que pour les entreprises peu endettée quatre trimestres après une récession et 5 % plus élevée douze trimestres après (cf. graphique 2). En conséquence, des calculs au dos de l’enveloppe suggèrent que la dette des entreprises expliquerait au moins 28 % de la baisse de l’investissement observée à moyen terme suite à une récession.

En outre, Estefania-Flores et ses coauteurs constatent que ces effets sont plus importants pour les entreprises les plus petites et les moins rentables, ce qui suggère que, pour un niveau de dette donné, les contraintes de crédit sont plus fortes pour les plus petites entreprises que pour les plus grandes. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les plus grandes entreprises disposent de davantage de collatéraux pour emprunter ou par le fait que les prêteurs les perçoivent comme moins risquées que les entreprises plus petites. En outre, Estefania-Flores et ses coauteurs constatent qu’il est plus difficile pour les entreprises ayant une importante dette à court terme de refinancer leur dette suite à une récession, ce qui accroît leurs difficultés à investir dans de nouveaux projets.


Références

AIKMAN, David, Mathias DREHMANN, Mikael JUSELIUS & Xiaochuan XING (2022), « The scarring effects of deep contractions », BRI, working paper, n° 1043. 

DUVAL, Romain A., Gee Hee Hong & Yannick TIMMER (2020), « Financial frictions and the great productivity slowdown », The Review of Financial Studies, vol. 33, n° 2. 

ESTEFANIA-FLORES, Julia, Davide FURCERI, Pablo GONZALEZ-DOMINGUEZ, Siddharth KOTHARI & Nour TAWK (2022), « Scarring and corporate debt », FMI, working paper, n° 22/211.

FURCERI, Davide, & Annabelle MOUROUGANE (2012), « The effect of financial crises on potential output: New empirical evidence from OECD countries », Journal of Macroeconomics, vol. 34, n° 3. 

KALEMLI-ÖZCAN, Sebnem, Luc LAEVEN & David MORENO (2019), « Debt overhang, rollover risk, and corporate investment: Evidence from the European crisis », Journal of the European Economic Association