Erling Barth, Alex Bryson et Harald Dale-Olsen (2022) ont étudié les données tirées d’une enquête réalisée en novembre 2020 auprès des entreprises norvégiennes pour observer dans quelle mesure l’épidémie de Covid-19 a bouleversé leurs décisions en matière d’investissements technologiques.
Ils constatent que la pandémie a fortement perturbé les projets d’investissements technologiques. La moitié des entreprises et des travailleurs ont reporté des projets d’investissement, mais à peu près la moitié aussi ont connu l’introduction de nouvelles technologies, notamment de nouveaux outils numériques. L’introduction de ces derniers ne se résume pas à l’adoption de plateformes comme Zoom et Team ; des robots ont également été introduits à des fins d’automatisation au cours de la pandémie. L’adoption de ces technologies a souvent été permanente et elle est susceptible de durablement affecter les entreprises. Bien que certaines entreprises aient accéléré des investissements déjà programmés, la plupart des investissements technologiques n’étaient pas planifiés, ce qui suggère que la pandémie a poussé les choix technologiques des entreprises dans de nouvelles directions.
La pandémie semble avoir accru les inégalités entre les entreprises les plus productives et les entreprises les moins productives. En effet, Barth et ses coauteurs notent que ce sont les entreprises les plus productives qui ont eu tendance à poursuivre leurs projets d’investissement déjà planifiés et à innover et les entreprises les moins productives qui ont eu tendance à reporter leurs projets d’investissement.
Même si en moyenne les entreprises qui ont reçu un soutien considérable des pouvoirs publics ont été moins susceptibles d’innover et davantage susceptible de reporter les projets d’investissement que les entreprises qui ont été moins soutenues, Barth et ses coauteurs notent qu’elles ont tout de même procédé à certaines innovations permanentes lors de la pandémie. En fait, ce sont les entreprises les plus affectées par la pandémie qui ont aussi été celles qui ont présente la plus forte réponse technologique. Les entreprises qui rencontraient jusqu’alors des barrières à l’investissement, par exemple qui souffraient de barrières financières ou d’un manque de compétences, ont été les plus susceptibles d’introduire de nouvelles technologies. Les entreprises avec des accords collectifs ont aussi été davantage susceptibles d’introduire de nouvelles technologies ou de reporter des investissements pendant la pandémie que les autres entreprises, ce qui suggère que les syndicats ont plutôt contribué à ce que les entreprises réagissent au cours de la crise plutôt qu’elles ne fassent rien.
Enfin, Barth et ses coauteurs concluent que la pandémie a pu conduire à une hausse des inégalités entre travailleurs qualifiés et travailleurs non qualifiés via les choix technologiques des entreprises. En effet, l’introduction de nouvelles technologies impulsée par la pandémie a été associée à une hausse de la demande pour toutes les catégories de travailleurs, sauf pour les non qualifiés. Ce sont en l’occurrence les entreprises les plus productives qui ont été les plus susceptibles de réduire leur demande de travailleurs non qualifiés en adoptant les innovations. Les innovations n’ont pas eu le même effet selon leur nature. D’un côté, l’introduction de robots à des fins d’automatisation a réduit la demande de travail non qualifié et augmenté la demande de travail qualifié. D’un autre côté, l’introduction de nouveaux outils numériques a augmenté la demande pour toutes les catégories de travailleurs selon le niveau de qualification, sauf pour les travailleurs non qualifiés.
En définitive, la pandémie semble bien avoir constitué un canal de progrès technique. Elle a par ce biais accéléré certaines tendances à l’œuvre depuis plusieurs décennies, notamment la baisse de la demande de travail non qualifié.
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