Amory Gethin (2023) a cherché à quantifier la contribution de l’éducation dans la réduction de la pauvreté dans le monde. En combinant un modèle d’éducation et la structure des salaires avec des outils dérivés de la comptabilité nationale, il a isolé la contribution de l’éducation à la croissance du revenu réel au sein des pays et entre eux.
Selon ses estimations pour la période allant de 1980 à 2022, l’éducation a contribué à 50 % de la croissance économique mondiale, à 70 % des gains de revenu parmi les 20 % des individus les plus pauvres à travers le monde (cf. graphique) et à 40 % de la baisse de la pauvreté extrême. Elle aurait en outre contribué à plus de la moitié de la hausse de la part du revenu du travail rémunérant les femmes observée sur la période. Dans l’ensemble, l’éducation s’est révélée être un important facteur de la réduction des inégalités à travers le monde.
Gethin doute que les forces de marché puissent être le principal facteur derrière l’accumulation de capital humain à travers le monde. D’une part, l’extrême majorité des enfants des pays en développement sont scolarisés dans les écoles publiques. Des années 1970 aux années 2000, plus de 90 % des effectifs de l’école primaire à travers le monde étaient scolarisés dans le système public ; les 10 % restants correspondaient pour l'essentiel aux enfants des plus riches dans chaque pays.
D’autre part, si les incitations économiques avaient un joué le rôle principal, il devrait y avoir selon Gethin une certaine corrélation positive entre, d’une part, le biais du progrès technique envers les qualifications et, d’autre part, la scolarisation. Or, il y a plusieurs exemples de déconnexions entre ces deux dynamiques. L’un des exemples les plus clairs est celui des Etats-Unis : le progrès technique y a été particulièrement biaisé envers le travail qualifié depuis les années 1980 et pourtant cette même période a été marquée par une stagnation du niveau de diplôme, ce qui a contribué à la forte hausse des inégalités de revenu observée aux Etats-Unis. Ces derniers ont vraiment connu une « course entre l’éducation et la technologie » (Goldin et Katz, 2008).
Le rôle des gouvernements dans les progrès de l’éducation et, par ce biais, sur la baisse de la pauvreté mondiale a donc été décisif. En combinant les bénéfices indirects des investissements dans l’éducation et les mesures publiques de redistribution, Gethin estime que les politiques publiques ont contribué à au moins la moitié de la baisse de la pauvreté observée de 1980 à 2022.
Références
GOLDIN, Claudia, & Lawrence F. KATZ (2008), The Race Between Education and Technology, Harvard University Press.