dimanche 25 septembre 2022

Quels sont les effets de la réduction du temps de travail ? Les enseignements de cinq réformes européennes

Les effets de la réduction du temps de travail réglementaire sur l’emploi et les salaires font l’objet de grands débats parmi les économistes. Les plus optimistes pensent qu’une baisse du temps de travail stimule l’emploi en obligeant les entreprises à embaucher : c’est la théorie du « partage du travail » (Drèze, 1986). L’idée de base est simple : si les entreprises ont besoin d’un volume de travail donné, une baisse du temps de travail doit conduire mécaniquement à une hausse du nombre de travailleurs en emploi.

En pratique, plusieurs phénomènes viennent grever ces créations d’emplois : la baisse du temps de travail pourrait rendre les travailleurs plus efficaces au cours d’une heure travaillée, c’est-à-dire accroître la productivité horaire du travail, ce qui réduit les besoins en main-d’œuvre des entreprises ; en raison des coûts d’embauche, il pourrait être plus rentable pour certaines entreprises de ne pas baisser le temps de travail effectif de leurs salariés, si bien qu'elles recourent davantage aux heures supplémentaires, etc. Les économistes les plus pessimistes pensent qu’une réduction du temps de travail risque de détruire des emplois en augmentant le coût du travail et, ainsi, en dégradant la compétitivité des entreprises nationales, du moins dès lors qu'elles ne s'accompagnent pas d'une baisse des salaires.

Afin de jauger les effets d’une réduction nationale du temps de travail hebdomadaire, Cyprien Batut, Andrea Garnero et Alessandro Tondini (2022) ont appliqué la méthode des doubles différences à des données sectorielles concernant la Belgique, la France, l'Italie, le Portugal et la Slovénie pour la période allant de 1995 à 2007 en s’appuyant sur l’approche des doubles différences. Chacun des pays observés a connu une réforme réduisant la durée réglementaire de travail au cours de cette période ; c’est le cas de la France avec le passage des 39 heures aux 35 heures. Dans la mesure où la part des travailleurs affectés par ces réformes n’a pas été la même d’un secteur à l’autre, Batut et ses coauteurs ont utilisé ces différences sectorielles pour évaluer l’effet des réformes. 

Comme on pouvait s’y attendre, ils constatent qu’en moyenne le nombre d’heures travaillées a bien davantage baissé dans les secteurs les plus affectés que dans les secteurs les moins exposés. Pour autant, Batut et ses coauteurs n’observent pas de créations d’emplois dans les secteurs les plus affectés, si bien que le nombre total d’heures travaillées y a chuté. En outre, il apparaît que les réformes ont eu un effet positif sur les salaires horaires et la valeur ajoutée par heure travaillée, mais cet effet n’est guère significatif.

En définitive, ces résultats ne vont pas dans le sens du scénario du partage du travail. Cela dit, ils ne confortent pas non plus l’idée selon laquelle une réduction du temps de travail qui ne s’accompagnerait pas d’une baisse du salaire aurait pour effet de détruire des emplois.

Le fait qu’une telle réforme n’ait pas d’impact positif en termes d’emploi ne la rend pas pour autant inopportune : dès lors qu’elle ne nuit pas aux salaires et à l’emploi, elle conduit certainement à une hausse du bien-être des travailleurs, ne serait-ce qu’en libérant du temps pour les loisirs.


Références

BATUT, Cyprien, Andrea GARNERO & Alessandro TONDINI (2022), « The employment effects of working time reductions: Sector-level evidence from European reforms », IZA, discussion paper, n° 15566. 

DREZE, Jacques H. (1986), « Work-sharing: Some theory and recent European experience », Economic Policy, vol. 1, n° 3.