Le montant des dépenses publiques consacrées à la protection sociale a tendance à être d’autant plus important, relativement au revenu national, que ce dernier est important. Autrement dit, l’élasticité de ces dépenses vis-à-vis du revenu national apparaît supérieure à l’unité. Autrement dit encore, la protection sociale constituerait, à l'échelle d'un pays, ce que les économistes qualifient de « bien de luxe ».
C’est ce que suggère notamment la « courbe d’Engel de la protection sociale », représentant la part moyenne du revenu nationale consacrée à la protection sociale en fonction du PIB par tête (cf. graphique). Celle-ci est croissante pour quasiment l’ensemble des niveaux de PIB par habitant (à l’exception des cinq pays ayant le PIB par tête le plus élevé, pour lesquels elle devient décroissante). Les écarts en termes de dépenses de protection sociale sont particulièrement prononcés entre les pays riches et les pays pauvres : les 20 % des pays les plus riches consacrent en moyenne 15 % de leur PIB à la protection sociale, contre environ 3 % pour les 20 % des pays les plus pauvres.
L’hypothèse selon laquelle la protection sociale constituerait un bien de luxe a influencé les préconisations en matière d'économie du développement et notamment justifié l’absence de la question de la protection sociale du « consensus de Washington » : les pays en développement auraient d’autres priorités que la protection sociale. En l’occurrence, leurs gouvernements ne devraient vraiment chercher à réduire les inégalités de revenu que lorsque leur pays est sorti de la pauvreté et la réduction des inégalités de revenu ne constituerait précisément pas un levier pour accélérer la sortie des pays de la pauvreté.
Michael Lokshin, Martin Ravallion et Iván Torre (2022) ont testé l’hypothèse selon laquelle la protection sociale constituerait un bien de luxe. Pour cela, ils se sont notamment appuyés sur un échantillon de 142 pays pour la période allant de 1995 à 2020. En l’analysant, ils confirment qu’il y a effectivement une forte corrélation entre le montant des dépenses de protection sociales (rapporté au revenu national) et le revenu national : la part du revenu consacrée à la protection sociale tend à augmenter avec le revenu.
Mais corrélation ne signifie pas forcément causalité. En creusant davantage, Lokshin et ses coauteurs concluent que cette corrélation tient à de multiples facteurs confondants : elle s’explique non pas par une relation directe de causalité entre le niveau de revenu et les dépenses de protection sociale, mais par plusieurs facteurs qui sont étroitement corrélés avec le niveau de revenu et les dépenses de protection sociale. Ceux-ci incluent notamment les prix relatifs, la faiblesse de la gouvernance dans les pays à faible revenu et à l’accès aux technologies d’information et de communication, autrement des facteurs influençant le coût de fourniture d’un programme de protection sociale. Une fois ces facteurs contrôlés, la protection sociale n’apparaît plus comme un bien de luxe ; sa part dans le PIB a même tendance à apparaître décroissante avec le niveau du PIB par tête.
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