lundi 15 avril 2024

L’âge du désespoir : la courbe du bonheur est devenue monotone

Plusieurs études suggèrent que le bien-être subjectif, mesuré notamment avec le bonheur et la satisfaction de vivre autodéclarés, suit une trajectoire en forme de U en fonction de l’âge dans de nombreux pays : il diminue à partir de l’adolescence jusqu’à ce que les individus atteignent un âge intermédiaire, puis il rebondit (Blanchflower et Oswald, 2008). Dans tous les pays, le bien-être semble atteindre son minimum autour de l’âge de 50 ans. Le mal-être, mesuré notamment avec le stress et la dépression, suit la trajectoire inverse, c’est-à-dire forme une courbe en forme de U inversé. Les raisons pour lesquelles les courbes du bien-être et du mal-être présentent de tels profils restent débattues.

Mais dans une nouvelle étude, David Blanchflower, Alex Bryson et Xiaowei Xu (2024) notent que cette régularité empirique n’est plus valide. La santé mentale des jeunes présente une détérioration, à la fois absolue et relativement aux personnes plus âgées.

Blanchflower et ses coauteurs ont utilisé des données tirées d’enquêtes réalisées aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ils constatent que la relation entre bien-être et âge devient monotone et décroissante à partir de 2011 environ (cf. graphiques). Ce changement est antérieur à l’épidémie de Covid-19. Mais au Royaume-Uni, celle-ci a exacerbé cette tendance en dégradant tout particulièrement le bien-être des jeunes (tandis que c’est la santé physique des plus âgés que les confinements semblent avoir tout particulièrement dégradée). Aux Etats-Unis, la pandémie ne semble pas avoir renforcé la tendance.

Enfin, Blanchflower et ses coauteurs ont également observé la relation entre mal-être et âge en utilisant une base de données relatives à l’anxiété dans 34 pays. Ils concluent que les constats qu’ils avaient faits concernant le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne sont pas propres à ces deux pays : dans les autres pays observés, la relation entre mal-être et âge est également devenue monotone et décroissante.

Les questions qui se posent est bien sûr de savoir quelles sont les causes de ces changements et si ceux-ci sont permanents ou temporaires. Dans la mesure où ces changements s'observent à peu près simultanément dans de nombreux pays suggère qu'il s'agit pour l'essentiel de causes communes. Blanchflower et ses coauteurs évoquent quelques chocs possibles, notamment la crise financière mondiale de 2008, la diffusion des smartphones et des médias sociaux et la pandémie de Covid-19. J'en propose un quatrième : l'intensification de la prise de conscience des problèmes environnementaux. 

 

Références

BLANCHFLOWER, David G., Alex BRYSON & Xiaowei XU (2024), « The declining mental health of the young and the global disappearance of the hump shape in age in unhappiness », NBER, working paper, n° 32337. 

BLANCHFLOWER, David G., & Andrew J. OSWALD (2008), « Is well-being U-shaped over the life cycle? », Social Science and Medicine, vol. 66, n° 6.