lundi 11 avril 2022

Quand les banques capturent les médias

Le secteur bancaire dépend étroitement de la confiance des déposants et des investisseurs financiers. Or, il s'agit d'un secteur particulièrement opaque où la recherche du profit se fait souvent via des prises de risque excessives, si bien qu'il a intérêt à ce que celles-ci ne s'ébruitent pas. La relation de crédit entretenue avec les médias d'information offre alors une opportunité pour influencer leur contenu éditorial. Ce risque s'est peut-être accentué ces dernières années, dans la mesure où les médias traditionnels ont souffert de la concurrence des médias en ligne et vu leurs recettes publicitaires décliner, ce qui a réduit leur rentabilité et les a rendu davantage dépendants de leurs créanciers.

Ruben Durante, Andrea Fabiani, Luc Laeven et José-Luis Peydró (2022) ont étudié si les relations de crédit affectaient la couverture médiatique des questions financières. Ils ont tout d’abord cherché à identifier les relations de crédit entre de grands journaux de pays européens et les banques, pour voir ensuite comment ces journaux évoquaient les informations relatives aux annonces des résultats des banques et la crise de la zone euro. 

Durante et ses coauteurs constatent alors que les journaux tendent à évoquer de façon disproportionnée les annonces de résultats concernant les banques vis-à-vis desquelles ils se sont endettés lorsque ces résultats sont positifs. Ce biais est présent aussi bien dans les journaux généralistes que dans les journaux spécialisés dans la finance. Il s’avère encore plus prononcé lorsque les journaux sont dans une situation de détresse financière, c’est-à-dire lorsqu’ils se révèlent particulièrement dépendants de leurs créanciers. 

En ce qui concerne la couverture médiatique de la crise de la zone euro, il apparaît que les journaux qui se sont endettés auprès de banques très exposées aux obligations des Etats en difficulté tendaient à moins évoquer de façon critique le rôle des banques dans la crise et à davantage critiquer l’idée de restructuration des dettes publiques, une mesure coûteuse pour les créanciers. Ce biais ne semble pas lié à la sensibilité politique des journaux. 

Ainsi, l’étude de Durante et alii (2022) montre que les relations de prêt nouées entre les banques et les journaux menacent l’indépendance éditoriale de ces derniers, du moins en ce qui concerne les questions financières, ce qui laisse craindre qu'elles nuisent à la formation de l'opinion publique et l'action publique, notamment dans le domaine de la réglementation financière.


Référence

DURANTE, Ruben, Andrea FABIANI, Luc LAEVEN & José-Luis PEYDRÓ (2022), « Media capture by banks », IZA, discussion paper, n° 15214.