Les individus accumulent du capital humain, non seulement à travers leur scolarité, mais aussi en travaillant, en bénéficiant de la formation par la pratique (learning-by-doing), en échangeant des savoirs et savoir-faire avec les collègues, etc. Une récession est particulièrement susceptible de nuire à l’accumulation de capital humain : les travailleurs qui se retrouvent privés des interactions physiques avec leurs collègues ou qui se retrouvent au chômage technique et surtout au chômage ne peuvent acquérir de nouvelles compétences en travaillant et l’érosion ou l’obsolescence de leurs compétences s’accélère. Outre ses effets sur les travailleurs, la pandémie a également perturbé l’accumulation du capital humain via le système éducatif : c’est la scolarité de l’ensemble des cohortes d’élèves qui s’est retrouvée perturbée, avec la fermeture des écoles, la hausse de l’absentéisme des élèves et de leurs enseignants, l'imparfaite substituabilité entre enseignement en présentiel et enseignement en distanciel, etc. (Fuchs-Schündeln et alii, 2020 ; Hanushek et Woessmann, 2020 ; Psacharopoulos et alii, 2021 ; Azevedo et alii, 2021).
Roberto Samaniego, Remi Jedwab, Paul Romer et Asif Islam (2022) ont cherché à quantifier quel a été l’impact économique à long terme des perturbations que la pandémie de Covid-19 a provoquées dans l’accumulation du capital humain. Ils se sont appuyés sur les estimations des rendements de l’éducation et de l’expérience professionnelle tirées de 1.048 enquêtes menées dans 145 pays pour évaluer les pertes en capital humain et, par ce canal, en production occasionnées par la pandémie pour des pays à différents niveaux de revenu.
Leurs résultats confirment que la pandémie de Covid-19 a entraîné des pertes significatives en termes d’apprentissage et, par ce biais, de production. Les pays développés ont subi des pertes plus lourdes que les pays en développement. Selon le scénario le plus pessimiste de Samaniego et de ses coauteurs, le bien-être a irrémédiablement baissé de 4,3 % dans les pays développés, de 3,0 % dans les pays à revenu intermédiaire et de 1,9 % dans les pays à bas revenu. Actualisées, ce sont des pertes équivalentes à 111 % du PIB pour les pays à haut revenu, à 89 % du PIB pour les pays à revenu intermédiaire et à 74 % du PIB pour les pays à bas revenu. Même quarante ans après la pandémie, les pays à haut revenu devraient se situer à 4,2 % en-deçà de leur PIB à l’état régulier, contre 2,6 % pour les pays à revenu intermédiaire et 0,8 % pour les pays à bas revenu.
La pandémie a eu un impact asymétrique selon le niveau de vie des pays pour deux raisons. D’une part, les rendements de l’éducation ne sont peut-être guère différents d’un pays à l’autre, mais le niveau de scolarisation est bien plus élevé dans les pays à haut revenu que dans les pays à revenu intermédiaire et surtout les pays à bas revenu : la durée moyenne d’études est de 13 ans dans les premiers, contre 8 ans et 6 ans pour les derniers. D’autre part, les pays développés présentent des rendements d’expérience plus élevés que les pays en développement.
Les perturbations des scolarités pourraient avoir à long terme un effet plus durable que celles des expériences professionnelles, dans la mesure où les interruptions du travail ont touché de façon disproportionnée les travailleurs peu qualifiés, où les interruptions du système éducatif ont été davantage généralisées et où les rendements de l’éducation sont bien plus amples que les rendements de l’expérience professionnelle.
Pour Samaniego et ses coauteurs, ces résultats montrent l’urgence à rouvrir les écoles : en novembre dernier, environ la moitié des élèves à travers le monde vivaient dans des pays où les écoles n’étaient pas encore totalement rouvertes, ce qui ne peut qu’exacerber les dommages occasionnés par la pandémie à long terme.
Références
HANUSHEK, Eric A., & Ludger WOESSMANN (2020), The Economic Impacts of Learning Losses, OCDE.