L’Europe a connu une « Petite Divergence » avant même que s’amorce la Révolution industrielle : autour du dix-septième siècle, l’Europe du nord-ouest prit une avance économique durable sur le reste de l’Europe, notamment vis-à-vis du Portugal. Au milieu du dix-septième siècle, la production par tête du Portugal était plus élevée que celle de la France et de l’Espagne ; elle était certes inférieure à celle de l’Angleterre et des Pays-Bas, mais elle avait tendance à converger vers celles-ci (cf. graphique). Un siècle plus tard, le Portugal était le pays le plus pauvre d’Europe de l’ouest. Alors que l’économie portugaise était jusqu’alors très dynamique et connaissait régulièrement des taux de croissance supérieurs à ceux de l’Angleterre, le tout début du dix-huitième siècle marque une rupture : le PIB et les salaires bruts du Portugal s’effondrèrent, alors que ceux de l’Angleterre augmentèrent plus rapidement [Palma et Reis, 2019].
PIB par tête en dollars internationaux de 1990 Beaucoup expliquent la Petite Divergence en mettant au premier plan les changements institutionnels. Cette interprétation a gagné en popularité avec les travaux de Douglass North et Barry Weingast (1989), qui estimaient que le développement économique de l’Angleterre s’était accéléré avec l’adoption d’une démocratie semi-représentative. Plus récemment, Daron Acemoglu et alii (2005) ont développé l’idée que l’Angleterre et les Pays-Bas ont su mieux tirer profit du commerce atlantique que des pays comme l’Espagne ou la France grâce à un cadre institutionnel plus favorable à l’activité commerciale et notamment une moindre intrusion de l’Etat dans celle-ci.
Or, il est difficile d’expliquer le déclin du Portugal au prisme des (seules) institutions. En effet, jusqu’à la seconde moitié du dix-septième siècle, le Portugal avait un système politique guère différent de celui l’Angleterre [Henriques et Palma, 2019]. Il y a certes eu une divergence institutionnelle, mais celle-ci semble s’être amorcée après la divergence économique.
Dans une nouvelle analyse, Davis Kedrosky et Nuno Palma concluent que la découverte de quantités massives d’or au Brésil au cours du dix-huitième siècle a joué un rôle déterminant dans le déclin du Portugal à partir du dix-huitième siècle. En effet, les afflux d’or à destination du Portugal ont stimulé les dépenses, mais si ce choc a initialement stimulé la croissance, il s’est révélé être négatif à plus long terme. Il a en effet poussé fortement à la hausse les prix et les salaires dans le secteur des produits non échangeables, alors que les prix du secteur des produits échangeables étaient déterminés au niveau international. Il a également entraîné une ample appréciation du taux de change : en utilisant les données relatives aux prix tirées d’archives de quatre régions portugaises entre 1650 et 1800, Kedrosky et Palma estiment que le taux de change réel s’est apprécié de 30 % au cours du dix-huitième siècle.
Avec l’inflation dans le secteur des produits non échangeables et l’appréciation de sa devise, le Portugal a connu une véritable désindustrialisation. D’une part, les ressources se sont davantage orientées vers le secteur des produits non échangeables, au détriment du secteur des produits échangeables, qui apparut comme de moins en moins rentable pour les producteurs portugais. D’autre part, la hausse des coûts de production et l’appréciation du taux de change ont érodé la compétitivité des produits portugais : les résidents finirent par trouver les importations bien moins chères que les produits nationaux, si bien qu’ils se détournèrent de plus en plus de ces derniers au profit des premiers, tandis que les exportations portugaises stagnèrent, voire chutèrent. Ainsi, en définitive, l’économie portugaise semble avoir été victime de ce que la littérature a qualifié de « maladie hollandaise » ou de « malédiction des ressources naturelles » [Corden et Neary, 1982].
Références