Afin d'accroître leurs profits, les entreprises peuvent être tentées de se mettre d’accord pour cesser de se faire concurrence, pour ne pas baisser leurs prix, voire pour les augmenter, etc., mais ce comportement est illégal, dans la mesure où il nuit aux consommateurs, en réduisant leur pouvoir d’achat et en restreignant la diversité de produits auxquels ils ont accès. En l’occurrence, les ententes sont l’une des formes de comportements anticoncurrentiels que les autorités sanctionnent le plus lourdement : par exemple, le montant total des amendes que la seule Commission européenne a infligées aux participants aux cartels depuis 1990 s’élève à 31 milliards d’euros (Haucap et Heldman, 2022).
Pour expliquer l’apparition, le maintien et la dislocation des ententes, les économistes se sont surtout intéressés aux caractéristiques des entreprises en tant qu’entités. Ils relient souvent leurs comportements à la structure du marché sur lequel elles opèrent. Autrement dit, ils les traitent comme des « boîtes noires », en faisant abstraction des individus qui agissent en leur sein.
Justus Haucap et Christina Heldman (2022) ont précisément cherché à ouvrir ces boîtes noires. Ils ont cherché à voir comment se comportent les participants aux cartels pour susciter une confiance mutuelle et s’assurer de leur coopération réciproque. Pour cela, ils ont analysé 15 cartels qui ont opéré en Allemagne ces trente dernières années. Ils se sont focalisés sur les caractéristiques des individus qui y participaient, sur les méthodes par lesquelles ils communiquaient entre eux, sur la structure organisationnelle des cartels, sur les conflits que ces derniers pouvaient connaître et sur leur éventuelle dislocation.
Haucap et Heldman constatent que les membres des cartels sont très homogènes. La grande majorité des 156 individus participant aux cartels étudiés sont des hommes âgés de 45 à 60 ans, ce qui n’est guère surprenant au vu de la domination de ces derniers à la direction des entreprises. Seulement 2 des 156 individus impliqués dans les cartels étudiés sont des femmes, soit une proportion bien moindre que celle (certes déjà faible) des femmes présentes les postes de direction, ce qui suggère que le genre joue sur la formation du cartel. Cette grande homogénéité facilite certainement la mise en confiance nécessaire à la formation des cartels.
Il apparaît en outre que les cartels se développent souvent au travers de réseaux préexistants, comme des associations professionnelles : ces dernières offrent aux représentants des entreprises l’occasion de se voir régulièrement et de tisser entre eux des liens, non seulement professionnels, mais aussi parfois plus personnels. Les associations professionnelles permettent également aux membres d’une entente de mettre en pratique celle-ci et de veiller à ce que chacun la respecte.
Haucap et Heldman constatent que les décisions majeures, comme les termes généraux d’une entente, sont discutées en face-à-face, tandis que la mise en œuvre de l’entente et ses ajustements sont souvent discutés par téléphone ou par mails. Ce constat confirme l’importance de la confiance dans la formation des cartels ; celle-ci s’obtient plus facilement à travers des relations interpersonnelles directes.
Enfin, Haucap et Heldman apportent quelques éclairages sur les raisons expliquant pourquoi des conflits émergent entre les membres d’un cartel et pourquoi certains d’entre eux finissent par le quitter, voire par aller le dénoncer aux autorités de la concurrence. Un changement dans la composition des individus impliqués dans l’entente peut déstabiliser celle-ci, en particulier si les nouveaux membres ne sont pas d’accord avec ses termes actuels ou plus largement avec l’idée que leur entreprise adopte une pratique anticoncurrentielle. Des individus, en particulier dans les plus petites entreprises, peuvent ne pas avoir eu initialement conscience de l’illégalité de leur comportement lorsqu’ils ont accepté de participer à l’entente, mais finir par dénoncer celle-ci lorsqu’ils réalisent qu’elle contrevient au droit à la concurrence.
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