Toute une littérature a exploré le lien entre investissement et incertitude. En théorie, on s’attend à ce que ce lien soit négatif. En l’occurrence, les entreprises seraient d’autant plus réticentes à investir que l’incertitude est forte, notamment en raison de l’irréversibilité des projets d’investissement (Bernanke, 1983 ; Dixit et Pindyck, 1994). En effet, si elles investissent en supposant erronément qu’elles feront face à une forte demande à l’avenir, elles risquent de se retrouver en surcapacités. Or, beaucoup des actifs qu'elles accumulent leurs sont spécifiques, si bien qu'elles ne peuvent que difficilement les revendre. Face à une forte incertitude, elles ont donc intérêt à adopter un comportement attentiste : elles retardent leurs investissements le temps d’acquérir de nouvelles informations. En outre, si l’incertitude augmente, les prêteurs pourraient exiger une prime de risque plus élevée, ce qui pourrait décourager l'emprunt des firmes désireuses d’investir. D’un autre côté, il est théoriquement possible d'envisager des cas où le lien entre incertitude et investissement devient positif. C’est par exemple le cas s’il y a des délais dans la concrétisation des projets d’investissement : ces derniers ne sont pas immédiatement concrétisés suite à l’instant où la décision d’investir à été prise. Il est alors possible qu’une hausse de l’incertitude pousse davantage les entreprises à se décider à investir (Bar-Ilan et Strange, 1996).
Cette littérature théorique a suscité plusieurs travaux empiriques visant à déterminer le sens et la force de l’impact de l’incertitude sur l’investissement. L’une des difficultés que leurs auteurs ont rencontrée est de trouver une mesure pertinente de l’incertitude. Ils ont par exemple pu utiliser des indicateurs comme la volatilité des marchés boursiers ou le contenu des journaux, mais il ne s’agit que d’indicateurs indirects de l’incertitude telle qu’elle est perçue par les dirigeants des entreprises.
Nicholas Bloom, Steven Davis, Lucia Foster, Scott Ohlmacher et Itay Saporta-Eksten (2022) ont utilisé une mesure de l’incertitude subjective tirée d’une enquête menée par le Bureau du recensement américain auprès de 25.000 usines. Ils ont tiré de son analyse trois grands résultats. Premièrement, l’investissement est fortement et négativement associé par une hausse de l’incertitude. En l’occurrence, une hausse de l’incertitude équivalente à deux écart-types est associée à une baisse de 6 % de l’investissement. Deuxièmement, l’incertitude est aussi négativement corrélée avec la croissance de l’emploi et des ventes, ce qui montre l’impact négatif de l’incertitude sur la croissance des entreprises. Troisièmement, l’embauche de travailleurs temporaires et la location d’équipements sont positivement corrélées avec l’incertitude. Ce dernier résultat suggère que les entreprises tendent à se détourner des facteurs les moins flexibles pour utiliser davantage de facteurs flexibles lorsque le niveau d’incertitude augmente.
Références
DIXIT, Avinash, & Robert PINDYCK (1994), Investment Under Uncertainty, Princeton University Press.
VILLIEU, Patrick (2019), Macroéconomie : l'investissement, troisième édition, La Découverte.