Au mois de février dernier, dès les débuts de l’invasion du territoire ukrainien, les pays occidentaux ont adopté des sanctions économiques sans précédent à l’égard de la Russie. Le débat est de savoir dans quelle mesure ces sanctions sont efficaces. L’annexion de la Crimée en 2014 avait déjà conduit à l’adoption de sanctions économiques des Etats-Unis et de l’Union européenne à l’égard d’entreprises russes. Cet épisode constitue une expérience naturelle pour déterminer l’effet des sanctions.
Dzhamilya Nigmatulina (2022a) a ainsi étudié un échantillon de plus de 900.000 entreprises russes pour la période allant de 2014 à 2020 pour déterminer l’effet que ces sanctions ont pu avoir sur celles-ci et sur l’ensemble de l’économie russe. Elle aboutit à un constat de prime abord surprenant : il apparaît que les entreprises sanctionnées ont vu leur stock de capital, leurs intrants et leurs recettes augmenter après l’introduction des sanctions relativement aux tendances observées dans leur secteur. Cet effet s’observe tout particulièrement dans les entreprises publiques qui ont été sanctionnées : celles-ci ont obtenu près des deux tiers du supplément de capitaux obtenu relativement aux entreprises non sanctionnées.
En utilisant d’autres données relatives aux subventions publiques et aux contrats publics, Nigmatulina conclut que l’effet observé s’explique par la réaction du gouvernement. En effet, ce dernier a réagi aux sanctions en augmentant les subventions et prêts publics à destination des entreprises qu’elles ciblaient pour en compenser l’effet. En fait, les ressources déployées ont plus que compensé ce dernier. Or, les entreprises sanctionnées apparaissaient trop grandes et en surcapacités avant même l’adoption des sanctions : elles disposaient déjà de subventions ou disposaient davantage d’intrants qu’il ne leur était efficient d’en avoir. Autrement dit, elles apparaissaient initialement inefficaces. Ainsi, le gouvernement russe a protégé les entreprises sanctionnées au prix d’une détérioration de l’allocation des ressources : cette protection s’est faite au détriment de l’ensemble de l’économie.
En utilisant un modèle avec entreprises hétérogènes, Nigmatulina montre que les distorsions entre les entreprises sanctionnées et les autres, déjà existantes avant même les sanctions, ont été exacerbées une fois que celles-ci ont été adoptées et que le gouvernement les a gérées. En définitive, la productivité globale des facteurs russe a chuté de 0,33 % au niveau agrégé et de 3 % dans les secteurs touchés.
Références