Le modèle de Solow et le modèle IS/LM sont sûrement les deux modèles les plus enseignés aux étudiants en macroéconomie, lors de leurs cours et dans les pages des manuels. Richard Rogerson (2024) regrette que ni l’un, ni l’autre ne prête guère attention à l’offre de travail. Le premier, modélisant le comportement de la croissance à long terme, suppose que la quantité de travail est simplement proportionnelle à la taille de la population ; le second, focalisé sur le court terme, suppose implicitement que la quantité de travail est déterminée par la demande de travail. Rogerson estime qu’il s’agit d’une terrible omission.
Plusieurs faits, tirés de l’observation d’un échantillon de 22 pays développés, lui suggèrent en effet que l’offre de travail joue un rôle important en macroéconomie. Premièrement, les écarts en termes d’heures de travail entre les pays de l’OCDE, même une fois les différences en termes de population contrôlées, apparaissent importants et impliquent de larges effets sur le PIB. Deuxièmement, il y a de larges écarts en termes d’incitations au travail entre les pays comme le suggèrent les différences dans les ratios recettes publiques sur PIB. Troisièmement, il y a une forte corrélation négative entre le niveau d’heures de travail par personne et le ratio recettes publiques sur PIB, donc, selon Rogerson, entre durée du travail et incitations au travail.
Rogerson pense que l’omission de l’offre de travail dans les manuels de macroéconomie tient aux croyances des macroéconomistes à propos des élasticités de l’offre de travail agrégée : celles-ci, mesurant les variations de l’offre de travail agrégée en réponse à un changement des incitations au travail, sont considérées comme tellement faibles que l’on suppose que même de larges différences dans les incitations au travail ne peuvent avoir d’importants effets macroéconomiques. Selon Rogerson, cette croyance serait erronée.
En effet, les premières estimations des élasticités d’offre de travail, par exemple celles avancées par Emmanuel Saez et al. (2012), ne se sont focalisées que sur la marge intensive pour un groupe démographique particulier, en l’occurrence des hommes dans la force de l’âge. Or, non seulement la marge extensive peut se révéler importante, mais en outre il apparaît infondé de considérer que l’élasticité de l’offre de travail pour un groupe démographique peut s’appliquer à tous les autres groupes démographiques.
Par conséquent, Rogerson en conclut qu’une faible élasticité pour un groupe démographique à la marge intensive ne fournit pas d’information pertinente à propos de l’élasticité pour l’ensemble de la population. Les faits qu’il a mis en évidence suggèrent en revanche selon lui que l’élasticité de l’offre de travail agrégée est bien plus élevée que ce qui était jusqu’à présent considéré.
Références