En février 2022, la Russie a lancé (ou, plutôt, repris) son invasion de l’Ukraine. Les autorités russes ont certainement parié que les Etats européens ne réagiraient guère en raison de leur forte dépendance au gaz russe ; l’Allemagne, par exemple, importait alors 55 % de son gaz de Russie.
Une fois l'invasion en cours, les Européens ont considéré l'éventualité de faire un embargo sur le gaz russe. En Allemagne, ces questionnements ont occasionné un débat très virulent quant à savoir quels seraient les effets d’une cessation des importations de gaz russe sur l’économie domestique. Certains, notamment le PDG de BASF, ont affirmé qu’un tel découplage entraînerait un effondrement de l’économie allemande. Les études financées par certaines entreprises et certains syndicats des secteurs les plus exposés indiquaient prévoir que le PIB allemand chuterait de 6 à 12 % et que le taux de chômage exploserait. D’autres, plus optimistes, ont suggéré que les coûts d’un tel découplage seraient certes importants, mais tout de même gérables. Ce fut le cas de Rüdiger Bachmann et al. (2022), qui estimaient qu’une cessation des importations de gaz russe entraînerait une baisse du PIB allemand comprise entre 0,5 % et 3 %. Finalement, ce fut la Russie qui coupa unilatéralement l’approvisionnement en gaz de l’Europe : elle baissa de 40 % l’approvisionnement via le pipeline Nord Stream 1, puis le coupa totalement fin août. En septembre, une explosion détruisit Nord Stream 1.
Après coup, les coûts économiques de cet ajustement se sont révélés certes significatifs, mais tout de même gérables. En effet, le PIB allemand a augmenté de 2 % sur l'ensemble de l’année 2022. L’économie allemande a seulement enregistré une brève récession technique au cours de l’hiver 2022-2023 : son PIB s’est contracté de 0,5 % au dernier trimestre 2022 et de 0,1 % au premier trimestre 2023.
En utilisant les données empiriques disponibles aujourd’hui, Benjamin Moll, Moritz Schularick et Georg Zachmann (2023) ont étudié comment l’économie allemande s’est ajustée à la privation du gaz russe. Ils montrent que l’Allemagne a été capable de substituer ses approvisionnements en gaz russe par l’importation de gaz en provenance de pays tiers. D’autre part, l’économie allemande a réduit sa consommation de gaz de près de 20 %. En l’occurrence, ce sont l’industrie et les ménages qui ont le plus réduit leur consommation de gaz, respectivement de 26 % et de 17 %. Cela a été possible grâce aux mécanismes de marché (la réaction des ménages et des entreprises à la hausse consécutive des prix de l'énergie) et aux politiques de soutien budgétaire que le gouvernement accorda aux entreprises et aux ménages.
Moll et ses coauteurs en concluent que l’Allemagne aurait pu faire un embargo sur le gaz russe dès la fin mars 2022, ce qui aurait peut-être modifié le cours de la guerre.
Références