L’épidémie et les mesures sanitaires ont provoqué une puissante contraction de l’activité, mais cette dernière a rapidement rebondi, du moins dans les pays développés (cf. graphique). Cette reprise s’est accompagnée d’une accélération de l’inflation, en particulier depuis le milieu de l’année 2021. Alors qu’elle était restée autour de 2 %, voire en-deçà, dans les pays développés lors de la précédente décennie, elle a atteint les 9,1 % aux Etats-Unis et les 8,6 % dans la zone euro ce mois de juin.
Ricardo Reis (2022) a identifié quatre raisons susceptibles d’expliquer l’emballement récent de l’inflation. Elles ont un point en commun : elles amènent à conclure que si l’inflation s’emballe, c’est parce que les banques centrales l’ont laissée s’emballer.
La première raison a été que les chocs qui ont touché l’économie mondiale depuis 2020 ont été mal diagnostiqués : il y a une série de chocs d’offre qui ont été interprétés comme de simples chocs de marges et non comme affectant durablement la production potentielle. Ce mauvais diagnostic a amené les banques centrales à juger désirable et optimal de laisser l’inflation filer au-delà de sa cible. En l’occurrence, il les a amenées à laisser l’inflation filer bien au-delà de ce qui était désirable et optimal de le faire.
La deuxième raison est la croyance que les anticipations d’inflation resteraient ancrées à un faible niveau, comme elles l’ont été ces deux dernières décennies. Des économistes ou des banquiers centraux nourris de cette croyance sont naturellement amenés à considérer toute déviation de l’inflation par rapport à sa cible comme temporaire. Or, les enquêtes auprès des professionnels et des ménages suggéraient une révision à la hausse des anticipations d’inflation dès la seconde moitié de l’année 2021 et celle-ci apparut plus clairement encore le semestre suivant. Mais les banques centrales ont négligé cette hausse des anticipations d’inflation et ainsi sous-estimé la persistance de la hausse de l’inflation.
La troisième raison est la croyance que les banques centrales ont acquis une crédibilité à toute épreuve. La crédibilité qu’elles avaient acquise leur a permis, ces dernières décennies et notamment lors de la récession pandémique, de ne pas se focaliser sur la seule stabilité des prix et d’agir plus agressivement pour stabiliser l’activité économique. Or, il apparaît finalement que les autorités monétaires ont perdu de leur crédibilité, soit par malchance, soit parce qu’elles ont excessivement mis en jeu leur crédibilité par le passé.
La quatrième raison est la révision à laquelle les banques centrales ont soumis leur stratégie ces dernières années. L’apparente baisse du taux d’intérêt d’équilibre (r*) a amené les banques centrales à juger plus probable et risqué que l’inflation se retrouve en-dessous de sa cible plutôt qu’au-dessus de celle-ci. Elles ont ainsi trouvé justifié d’agir plus agressivement pour réduire le risque de faible inflation et se sont montrées davantage tolérantes vis-à-vis des déviations de l’inflation au-dessus de sa cible. Par conséquent, lorsque l’inflation a commencé à augmenter et dépasser sa cible, les banques centrales n’ont guère lutté vigoureusement contre elle.
Reis laisse ouverte la question de savoir quelle est l’importance quantitative de ces quatre causes. Il clôt son analyse en formulant plusieurs recommandations concernant le moyen terme : il faut accepter de moindres niveaux d’activité réelle dans le futur ; les banques centrales doivent agir agressivement à court terme en augmentant fortement leurs taux d’intérêt pour que les anticipations d’inflation soient de nouveau ancrées à un faible niveau ; elles doivent aussi clairement indiquer que la stabilité des prix constitue leur premier objectif ; il faut réviser à la hausse les coûts d’une forte inflation et donner plus de place aux politiques d’offre.
Référence