Gábor Koltay, Szabolcs Lorincz et Tommaso Valletti (2022) ont étudié les indicateurs relatifs à la concentration sectorielle dans les grands pays européens, en l’occurrence l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, pour la période allant de 1998 à 2019. Ils ont privilégié la part de marché combinée des quatre plus grosses entreprises données dans un secteur donné comme indicateur du degré de concentration de celui-ci.
Ils ont constaté que la concentration moyenne des secteurs a légèrement augmenté au cours des deux dernières décennies. Plus de 70 % des secteurs se sont en l’occurrence davantage concentrés. Ces premiers résultats tiennent notamment à la forte hausse de la part des secteurs très concentrés. Il y a globalement une tendance à l’apparition d’une structure oligopolistique dans chaque secteur et non de monopoles.
Koltay et ses coauteurs ont noté de significatives différences d’un secteur à l’autre. La concentration a eu tendance à augmenter aussi bien dans l’industrie que dans le tertiaire et elle reste plus forte dans l’industrie que dans le tertiaire. Au sein des services, ce sont les secteurs de la communication, du transport et du stockage qui ont connu la plus forte hausse de la concentration entre 1998 et 2019. Au sein de l’industrie, ce sont les activités liées au transport qui ont connu le plus haut niveau et la plus forte hausse de la concentration. Les secteurs intensifs en numérique ont bien connu une hausse de leur concentration.
Il y a également d’importantes différences d’un pays à l’autre. Lorsque l’on mesure la concentration sectorielle avec la part de marché détenue par les quatre plus grosses entreprises, il apparaît que, parmi les pays étudiés, ce sont la France et le Royaume qui ont connu la plus forte hausse de la concentration au cours des deux dernières décennies et qui présentent aujourd’hui le plus haut niveau de concentration (cf. graphique). Dans ces deux pays, la concentration a davantage augmenté dans l’industrie que dans le tertiaire.
L’année 2008 semble marquer une rupture. En effet, c’est à partir de cette année-là que la part des secteurs très concentrés a augmenté, mais il semble en outre que les autorités de la concurrence européennes aient moins eu tendance à refuser ou conditionner les opérations de concentration. Pour Koltay et ses coauteurs, leurs données suggèrent que les autorités de la concurrence ont fait preuve d’une moindre sévérité cette dernière décennie que par le passé, ce qui pourrait contribuer à expliquer la hausse de la concentration des secteurs.
Koltay et ses coauteurs observent enfin une hausse de la part des profits au niveau agrégée depuis les années 1980, en l’occurrence une hausse assez similaire à celle observée par Simcha Barkai (2020) dans le cas des Etats-Unis. La crise financière mondiale de 2008-2009 a déprimé les profits des deux côtés de l’Atlantique, mais ceux-ci ont rapidement rebondi, en particulier aux Etats-Unis. Ces évolutions sont cohérentes avec l’idée que les entreprises aient pu gagner en pouvoir de marché, mais d’autres facteurs influencent également les profits. En l’occurrence, la hausse de la part des profits tient en grande partie de la baisse des coûts en capital, qui pourrait tenir à des facteurs macroéconomiques comme la politique monétaire et l’évolution des prix de l’énergie. Reste ainsi la question de savoir dans quelle mesure cette hausse des profits tient à l’accroissement du pouvoir de marché des entreprises.
Références
BARKAI, Simcha (2020), « Declining labor and capital shares », Journal of Finance, vol. 75, n° 5.