Aux Etats-Unis, la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes a eu tendance à se détériorer depuis le milieu des années 2000. En effet, le nombre d’individus âgés de 18 à 23 ans déclarant avoir connu un épisode dépressif majeur l’année précédente a augmenté de 83 % entre 2008 et 2018. Au cours de la même période, le nombre de suicides a augmenté au point que le suicide est devenu la deuxième plus grande cause de mortalité parmi les 15-24 ans. Or, cette détérioration de la santé mentale coïncide avec la diffusion des réseaux sociaux, si bien que certains ont suggéré que leur usage tendait à détériorer la santé mentale (Turkle, 2012).
Luca Braghieri, Ro’ee Levy et Alexey Makarin (2022) ont cherché à déterminer l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale en utilisant l’introduction de Facebook dans les universités américaines. Depuis sa création à l’Université de Harvard en février 2004 et son ouverture à l’ensemble du public en septembre 2006, Facebook ne s’est déployé que de façon contrôlée d’une université à l’autre. Une fois l’accès d’une université à Facebook établi, ses étudiants s’inscrivaient très rapidement en masse à ce réseau social. Cette expansion désynchronisée de Facebook offre des conditions quasi-expérimentales pour déterminer l’impact de Facebook sur la santé mentale. Braghieri et ses coauteurs ont appliqué la méthode des différences de différences aux données relatives à la santé des étudiants.
Ils constatent que le déploiement de Facebook dans une université donnée y a augmenté le nombre de déclaration de problèmes mentaux, notamment de dépression. Ils constatent également que, parmi les élèves dont le profil en termes d’âge et de genre les prédisposait le plus à avoir une maladie mentale, le recours aux soins de santé mentale a augmenté : ils ont plus souvent été diagnostiqués dépressifs, ont plus souvent eu recours à la psychothérapie pour dépression et ont plus souvent utilisé des antidépresseurs. En outre, Braghieri et ses coauteurs constatent qu’après l’introduction de Facebook les élèves ont davantage eu tendance à déclarer rencontrer des difficultés scolaires en raison d’une mauvaise santé mentale. Tous ces constats amènent à conclure que la diffusion de Facebook a eu tendance à détériorer la santé mentale.
Braghieri et ses coauteurs ont ensuite cherché à déterminer par quels mécanismes l’usage de Facebook a pu dégrader la santé mentale. Il n’est pas certain que ce soit l’usage plus fréquent d’internet explique l’effet négatif de Facebook sur la santé mentale. En outre, la hausse des problèmes de santé mentale ne semble pas liée à une éventuelle dégradation de la consommation d’alcool, de la consommation de drogues ou de changements dans les pratiques culturelles. Par contre, certains éléments suggèrent que l’effet négatif de Facebook sur la santé mentale s’expliquerait par la tendance du réseau social à alimenter les comparaisons sociales défavorables. Reste la question de savoir si l’effet s’opère seulement sur ses utilisateurs ou également sur ceux qui ne l’utilisaient pas, qui en étaient par exemple exclus.
Références
TURKLE, Sherry (2012), Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each, Basic Books.